Arizona distribution

Septembre sans attendre : Eva est out

L’un des réalisateurs les plus passionnants de ces dernières années, Jonas Trueba, signe son huitième long-métrage, le premier à être présenté au Festival de Cannes, Septembre sans attendre (The Other way around). “Ce film est une continuité. Il est en cohérence avec les films précédents, c’est d’ailleurs la même équipe technique.” Comme dans Eva en août et Venez voir, on y retrouve également un couple incarné par Itsaso Arana et Vito Sanz. Par ailleurs, le temps n’est plus à la rencontre ni aux différentes possibilités du couple, mais à sa rupture. Après quinze ans de vie commune, Alejandra et Alex décident d’organiser une fête pour célébrer leur séparation. Comme Alejandra dit : “C’est une bonne idée pour faire un film.” Elle comme Jonas Trueba ne s’en priveront pas.

Jonas Trueba prouve une nouvelle fois son génie à offrir une attention pleine aux mouvements, qui se répètent ici, mais toujours différemment comme un tableau peint, et aux choses du monde.

Il fait nuit, la chambre est sombre. Alors qu’ils ne se voient quasiment pas, qu’on ne les reconnaît pas encore, Ale et Alex trouvent une conciliation à leur discussion dans une folle idée qu’ils ressuscitent de la bouche du père d’Ale : il faut fêter les séparations, pas les unions. Comme un signe des perturbations qui les attendent, Ale annonce “il commence à pleuvoir. Il va y avoir de l’orage.” Pourtant, tendre est le matin où la fluidité du couple s’effectue séparément par la géographie anguleuse de leur appartement. Alex prépare le café, Ale le consomme. L’idée émise la veille est de nouveau travaillée, questionnée puis, la décision est prise : fêtons notre séparation ! Sans jamais citer la moindre raison de l’origine de leur rupture, Ale et Alex doivent préparer cette fête supposée apaiser la déchirure. À leurs amis, ils disent avec drôlerie : “On se sépare, mais tout va bien.” Si la même phrase est répétée, les réactions diffèrent. On ne les prend pas au sérieux, on les prend pour des fous, on trouve que c’est osé, que c’est l’idée du siècle. “Quelle histoire !” Même pour eux, les mots ne sont pas encore tout à fait clairs, pas tout à fait précis. On le répète en anglais et l’écho est différent. Pour autant, une séparation, c’est du boulot. Si cela engendre quelques changements pratico-pratiques – ils doivent visiter des appartements – la coercition de leurs habitudes et des attentions du couple ne sont jamais loin comme l’achat d’une théière, pour faire plaisir, ou d’un duo de fauteuils, l’un acheté par elle, l’autre acheté par lui. Au fur et à mesure, par les préparatifs de leur fête, le couple semble surtout renouer un dialogue, comme un moyen de faire quelque chose ensemble. 

Entre les deux, “il n’y aura pas de nouvelle saison.” Pourtant, l’histoire se rejoue, encore et toujours à travers un film qu’est en train de monter Ale, tandis qu’Alex en est le personnage principal. Ludiquement, par petits jeux de montage, on comprend que leurs vies et que les films s’entremêlent. Une preuve de cet entrecroisement est une scène de projection du film aux proches, quelqu’un dira “parler de votre couple, parler du film, c’est un peu la même chose.” La frontière est trouble entre le travail, la vie, l’amour. Et dans la délicatesse de ce noeud, on retrouve une philosophie de la vie, de l’existence où la répétition – qui prend la forme d’une phrase qu’on répète, de scènes qu’on revisionne pour monter un film, d’une citation de Stanley Cavell qu’on redit à trois reprises, d’un sac marqué RE : VOIR – devient une marque de fidélité, rare et riche. 

En tentant de déchiffrer le tarot truebaïen, on relie le passé à la mémoire, le présent à l’horizontalité et le futur à l’élévation. Alors, c’est en visionnant les souvenirs passés d’un voyage à Paris, au centre Pompidou et à la recherche de la tombe de Truffaut, l’un à côté de l’autre pour ne pas dire positionnés horizontalement, que le couple s’élève, renaît dans un amour repris, rattrapé, relancé. Cette nostalgie témoigne du deuil de la perte d’une union rêvée. D’une phrase qu’il entendit de la bouche de son propre père (Fernando Trueba) qui joue le rôle du père justement dans Septembre sans attendre, Jonas Trueba prouve une nouvelle fois son génie à offrir une attention pleine aux mouvements, qui se répètent ici, mais toujours différemment comme un tableau peint, et aux choses du monde.

4.5

RÉALISATEUR : Jonas Trueba
NATIONALITÉ : française, espagnole
GENRE : comédie dramatique
AVEC : Itsaso Arana, Vito Sanz
DURÉE : 1h54
DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution
SORTIE LE 28 août 2024