Venez voir : une histoire simple… en apparence

Après la révélation Eva en août en 2020, puis sa fresque documentaire consacrée à un groupe d’adolescents madrilènes filmée sur cinq ans et captant leur passage à l’âge adulte (Qui à part nous ?), sorti en salles en avril dernier, le cinéaste espagnol Jonás Trueba est déjà de retour avec un nouveau long métrage mais d’une durée bien plus courte (1h04). Le titre, Venez voir, renvoie à l’invitation que reçoivent les personnages principaux dans le film, tout en étant également une invitation lancée aux spectateurs, afin de participer à ce qui pourrait s’apparenter à « un bon dîner entre amis […] un espace, confortable, où se retrouver, rester un moment ensemble. »

L’histoire est simple (en apparence) et évoque des retrouvailles. Une nuit d’hiver à Madrid, deux couples d’amis se retrouvent après s’être perdus de vue. Susana et Dani rayonnent depuis leur installation en banlieue et annoncent l’arrivée prochaine d’un bébé. La nouvelle perturbe Elena et Guillermo qui ont fait d’autres choix de vie. Pourtant au printemps, ils se décident à venir voir. Le cinéaste a expliqué avoir eu l’idée de ce film alors qu’il ressentait une certaine amertume, après la perte de deux de ses amis proches, l’un mort du cancer, l’autre du Covid.

Le résultat est assez touchant, malgré une forme que certains jugeront un peu aride, un peu minimaliste.

Le résultat est assez touchant, malgré une forme que certains jugeront un peu aride, un peu minimaliste. Le film est ainsi très économe en personnages (quatre au total et un musicien pianiste), en situations ou en rebondissements. Pour autant, on aurait tort d’y voir du vide et d’affirmer qu’il ne s’y passe rien. On pense inévitablement à d’autres réalisateurs familiers, tels que Éric Rohmer ou Hong Sang-soo (que ce soit pour le dispositif filmique ou pour le récit, souvent très resserré). En un peu plus d’une heure, Trueba réussit, au détour de conversations capturées en champs-contrechamps, à aborder des thèmes essentiels et universels : réflexion sur l’art, le changement de vie (ici notamment le choix de l’installation à la campagne fait par l’un des deux couples), le rapport avec les amis, le désir d’avoir un enfant (ou pas). A ce titre, il convient de saluer la qualité des dialogues, qui sont pour beaucoup dans le charme qu’opère le film qui apparait à la fois léger et grave, contemplatif et profond. Certaines scènes sont volontairement étirées (et donc le temps par la même occasion), ressemblant profondément au réel, au quotidien le plus ordinaire, mais il en ressort pourtant une grande limpidité et une envie de suivre les protagonistes, probablement liée à la structure même de l’œuvre. Découpé en deux parties se déroulant à six mois d’intervalle (découpage qui explique le sens du titre, « venez voir »), Venez voir contient également deux scènes magnifiques. La première, qui ouvre le long métrage, est une scène de concert, filmée en intégralité mais d’une manière particulière : Trueba s’attarde tout le long du morceau, grâce à des gros plans, sur les visages des personnages afin d’observer leur réaction. Le spectateur les voit émus (pincements des lèvres, expressions du visage, du regard surtout) par ce qu’ils écoutent et se retrouve à son tour touché. La musique n’est donc pas uniquement un bruit de fond, Trueba nous donne à voir, à ressentir cette émotion. Sur le plan narratif, cela lui permet aussi de nous montrer ces personnages, d’une certaine manière, de les caractériser sans avoir recours à des dialogues : on remarquera par exemple que l’un des protagonistes, Guillermo (interprété par Vito Sanz, déjà à l’affiche de Eva en août, comme Itsaso Arana), est moins concerné par la musique. A l’écran, malgré sa longueur, cette séquence est vraiment très belle et symbolise parfaitement ce que veut montrer le cinéaste.

A ce titre, il convient de saluer la qualité des dialogues, qui sont pour beaucoup dans le charme qu’opère le film qui apparait à la fois léger et grave, contemplatif et profond.  

Les situations (qu’il s’agisse d’ailleurs de complicité ou de moments de gêne), tout comme les relations entre les personnages formant les deux couples (notamment autour du choix de vie ville/campagne, avec/sans enfant) pourraient paraitre anodines et d’une grande banalité ; elles le sont probablement mais jamais cela ne nuit au film qui est très juste dans ce qu’il aborde. Cette simplicité, Trueba la revendique dans une démarche que l’on pourrait qualifier de naturaliste et qui s’avère être passionnante : montrer qu’il est possible pour les gens d’aller voir une œuvre aussi simple au cinéma.

Trueba nous rappelle ainsi que tout récit se nourrit du réel, mais que, dans le même temps, il n’est que fiction, rappelant au passage que ce qui semble ennuyeux peut faire cinéma.

L’autre (belle) séquence se situe à la toute fin du film, initiée par une balade que se décident à faire les deux couples, après leur repas. Dans une mise en abyme étonnante et théorique (on y voit l’équipe technique du film au travail, avec une image qui change de statut), Trueba nous rappelle ainsi que tout récit se nourrit du réel, mais que, dans le même temps, il n’est que fiction, prouvant au passage que ce qui semble ennuyeux peut faire cinéma.

En définitive, Venez voir constitue une belle proposition de cinéma en ce début de nouvelle année : un film court mais dense, à la légèreté apparente, mais bien plus profond, charmant mais teinté d’amertume, et dont les traces laissées par la pandémie et le confinement sont encore bien visibles. Il ne mettra pas tout le monde d’accord mais après tout, est-ce si important ?

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RÉALISATEUR : Jonás Trueba
NATIONALITÉ : Espagne
GENRE : Comédie dramatique
AVEC :  Itsaso Arana, Francesco Carril, Irene Escolar, Vito Sanz
DURÉE : 1h04
DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution
SORTIE LE 4 janvier 2023