Avec l’œil de la caméra de Léa Fehner, la profession donnant naissance à la vie s’explique en images, décrivant ainsi une catégorie professionnelle soumise à un intense rythme hospitalier et vivant au gré des naissances et des grandes émotions parentales. Alors que le grand public se trouve assez sensibilisé sur le sujet des sages-femmes, ce film permet de replonger dans les couloirs d’un hôpital, dans un service où le rêve d’être parent se dessine concrètement. Cependant, et malgré le capital sympathie que nous pouvons éprouver envers ces femmes courageuses, rien ne vaut le réalisme d’un documentaire pour raconter précisément les hauts et les bas de toutes ces praticiennes œuvrant pour la vie des nourrissons. On ressort de ce film avec le sentiment de partager le combat actuel existant au sein des hôpitaux. Néanmoins cette description s’accompagne de moments trop cacophoniques et d’une évocation sortant peu de cette vision hospitalière.
Louise et Sofia prennent leur premier poste dans une maternité publique. Elles vont affronter le rythme cadencé des journées, entre épuisement et détermination.
Sages-Femmes souffre de l’absence d’un esprit documentaire, avec toutefois la présence de quelques fragments, et d’un manque de réalisme que seul ce format peut créer. Sans cette structure informative, le film se lance dans un récit, sans véritablement informer sur l’état et les pratiques d’une profession nécessaire.
En voulant raconter le destin de ces deux sages-femmes, débutantes dans le métier, Léa Fehner introduit son film en intégrant ses personnages directement dans le grand bain d’un établissement de santé, entre nervosité, autonomie, physiques rongés par de nombreux kilomètres et le va-et-vient agité d’un service lui aussi gangréné par les problèmes budgétaires et d’effectifs. Alors que l’on imagine bien une activité à flux tendu, la cinéaste baigne son œuvre dans un rythme frôlant la frénésie, instaurant une ambiance sans doute un peu trop cacophonique, mélangeant les cris des nouveaux-nés et ceux d’un personnel vociférant avec véhémence contre les conditions de travail, parfois sur les patientes qui pâtissent un peu de cette tension permanente. Certes, l’évocation de nerfs mis à rude épreuve, et bien sûr peu facilités par les conjonctures actuelles, est peu négligeable, sans doute utile à raconter pour qu’un public large puisse s’apercevoir de la réalité de ce métier. Cependant, tout le côté humain se noie sous un océan de bruit, délaissant les rapports avec les patients, vitaux et essentiels, au profit d’une ambiance revendicative et stressante décrivant une seule face d’un emploi où les sages-femmes agissent comme des liens entre les bébés et les parents. Là où un simple documentaire aurait permis de mettre l’accent sur ce point essentiel, Sages-Femmes se concentre probablement trop sur les impacts psychiques subis par Sofia et son amie Louise, des victimes d’une pression hospitalière croissante, mais bien peu sur ce qui fait le sel de cette profession, la naissance d’une vie. Alors que le film met bien en images les accouchements, il en ressort tout de même une légère froideur, même si l’on ne remet pas en cause l’extrême implication de toutes ces jeunes femmes. Léa Fehner peine à trouver le juste milieu, entre l’expression d’une colère ou d’une forte anxiété palpable, et ce geste professionnel coupant le cordon ombilical reliant aussi les sages-femmes aux mères. Le Corps des femmes, de Amalia Escriva, abordait également cette question de la maternité, preuve que le sujet de la gynécologie est prégnant chez beaucoup, et que seule cette fonction d’accoucheuse permet d’apaiser les peurs présentes chez la gent féminine. Alors que Sages-Hommes, de Jennifer Devoldère, semblait plus proche de la connexion humaine, ce long-métrage s’en éloigne, bien qu’il ne dédaigne totalement le thème parental.
Ainsi se pose la question de savoir comment on doit décrire ce métier, établir une représentation fidèle. Léa Fehner impose sa vision, mais celle-ci a tendance à livrer un point de vue centré sur l’hôpital, sortant peu de ce cadre où l’humanité est pourtant omniprésente.
Manque de personnels, d’argent, de moyens en général, tout est dit et le film n’omet pas de mentionner les problèmes rencontrés. En cela, la réalité professionnelle décrite ici n’est pas biaisée, loin de là, mais elle prend certainement le dessus sur les capacités psychiques et physiques, que la réalisatrice retranscrit avec une forte tendance à instaurer une grande cacophonie, rendant quelque peu inaudible le message véhiculé, double, parlant de la précarisation d’un métier et, plus généralement, de l’effondrement d’un système. Entre relations de travail souvent altérées par le stress permanent, échanges un peu virulents, dans un service au bord de l’implosion, Sages-Femmes parle plus du contexte social négatif que du volet pourtant hyper-positif, et penche clairement vers un aspect plus protestataire que d’une représentation totalement réaliste. La volonté de transmettre les revendications reste compréhensible. À trop vouloir insister sur les défaillances et les dysfonctionnements d’un hôpital, Sages-Femmes entreprend une forme de digression, déstabilisant le contenu d’un film à l’idée pourtant intéressante, mais proposant un tableau inachevé d’une profession décrite uniquement sous le prisme de la contestation, même si quelques fragments d’humanité apparaissent çà et là, avec des élans de générosité dans une atmosphère trop glaçante. Effectivement, ce terme paraît justifié, tant l’ambiance électrique d’un couloir imprègne tout ce long-métrage. Encore une fois, le choix de ne pas opter pour une forme documentaire reste discutable, alors qu’il est difficile de dresser un état des lieux édifiant sans apport de témoignages réels. Léa Fehner tente d’en établir un, à sa manière, sans trop convaincre, en voulant mélanger problématique sociétale et mise en image des pratiques. Il semble toutefois que le film va dans le sens de l’alerte, dénonçant un milieu fissuré, ce qui ne donne pas totalement une description complète de ce métier comportant tellement de caractéristiques et ne se limitant bien sûr pas à la crise ambiante.
RÉALISATEUR : Léa Fehner NATIONALITÉ : France GENRE : Drame AVEC : Héloïse Janjaud, Khadidja Kouyaté DURÉE : 1 h 38 DISTRIBUTEUR : Geko Films SORTIE LE 30 août 2023