Ayant commencé son parcours dans la seconde moitié des années 80, Patricia Mazuy apparaît aujourd’hui comme une précurseuse dans le cinéma féminin français. Après la pionnière Alice Guy au début du vingtième siècle, puis le triumvirat de référence Agnès Varda-Marguerite Duras-Chantal Akerman qui a dominé le cinéma des années 70, Patricia Mazuy appartient à la génération suivante, au même titre qu’une Noémie Lvovsky, cinéastes qui ont servi de modèles à la génération actuelle des Ducournau, Triet, Riedinger, etc. Avec son septième film en trente-cinq ans, l’oeuvre de Patricia Mazuy est quelque peu chaotique, accidentée, avec diverses interruptions et pauses, mais surtout très libre et sans la moindre concession. Après Bowling Saturne qui atteignait un certain sommet dans la description d’un masculinisme toxique, La Prisonnière de Bordeaux montre d’une certaine manière l’envers du phénomène en s’attachant à une amitié sororale, par-delà les différences d’âge et de classe. Ce film nous paraissait le bon moment pour faire le point avec Patricia Mazuy sur ses films, le monde tel qu’elle le voit, et surtout son amour indéfectible du cinéma. Elle nous citera ainsi avec générosité une multitude de références à films à voir, en espérant que cela nous serve ainsi qu’à tous ceux qui liront son interview. Une créatrice inquiète, extrêmement attachante et exigeante envers elle-même, qui n’hésite pas, contrairement à beaucoup de ses collègues, à pointer les défauts de ses propres films, mais qui, mine de rien, en dépit des aléas, a su constituer une oeuvre d’une absolue cohérence, passionnante et d’une grande qualité.
Cela faisait quelques années que je souhaitais vous interviewer. J’en ai trouvé l’occasion en voyant La Prisonnière de Bordeaux au Festival de Cannes…
Lors de la projection du soir, le son n’était pas assez fort, c’était énervant. Il aurait fallu mettre le son un peu plus fort, comme la salle était pleine. On perdait les ambiances du mixage, on avait les dialogues et la musique mais pas le reste. Mais comme j’avais Isabelle à gauche et Hafsia à droite, je ne pouvais pas me lever et le signaler, c’était trop compliqué…
Parce que vous avez une attention particulière au son dans votre conception du cinéma. J’ai l’impression que vous avez cette attention au son comme un David Lynch.
Peut-être mais je n’ai pas forcément vu tous ses films. Le son est aussi important que l’image, pour moi. C’est vraiment très agréable de travailler le son lorsque le montage image est fait.
Dans la plupart de vos films, je trouve qu’il existe une dimension sonore et surtout musicale fondamentale. La musique fonctionne de manière autonome, en particulier lorsque John Cale officie soit dans un style classique (Saint Cyr) ou bien très rock (Sport de filles). Cela complète l’histoire sans que cela soit redondant. Je pense que vous avez beaucoup travaillé cet aspect.
La musique est un véritable personnage. J’adore travailler la musique de film.
Dans La Prisonnière de Bordeaux, c’est un peu plus discret?
Non, en fait, c’était pour la première fois de la mélodie. Dans Sport de filles, comme la première partie du film est assez maladroite, s’il n’y avait pas eu la B.O. de John [Cale] qui m’a vraiment rendu service, pour rentrer dans le film…Autant j’adore la seconde partie, lorsqu’elle part en Allemagne, en revanche, dans la première partie, je n’étais pas en forme et heureusement que la B.O. de John est là pour nous embarquer dans le bon regard. Elle a pu rebuter des spectateurs mais je sais qu’elle est hyper importante pour nous montrer le film sous le bon angle, en suivant le caractère énervé de Gracieuse. J’aime la première séquence du film mais après, je sais que c’est Mathilde Muyard qui a un peu sauvé le film au montage.
Vous êtes très honnête par rapport à vos films, ce qui est très rare. On peut même se demander si cela ne va pas jusqu’à l’autodépréciation. Par exemple pour Peaux de vache, votre premier film, vous avez raconté que vous n’aviez rien préparé et que cela s’annonçait comme une catastrophe. Il vous a fallu environ trois semaines pour rentrer dans le film.
Oui, parce que je n’étais pas prête. Je ne connaissais pas le plateau. Je ne savais pas diriger une équipe, gérer les gens. J’explique dans le livret du DVD que j’avais fait un court métrage juste avant, qui n’était pas bien car il était tout préparé mais je n’avais pas assez fait attention aux acteurs. Je m’étais occupée surtout du découpage. Du coup, je me suis dit qu’il ne fallait rien préparer pour Peaux de vache, pour garder le doute comme moteur vivant. En fait, cela ne marche pas non plus (rires). Il faut que ce soit un mélange. Donc oui, le premier mois a été très difficile, tout le monde voulait se barrer!
Heureusement ils sont quand même restés!
Oui et le film, il est bien. Le scénario était un peu faible mais le film n’a pas bougé, il a les mêmes défauts et les mêmes qualités qu’il y a quarante ans.
Il tient surtout par la mise en scène, pas vraiment par le scénario…
Oui et il tient aussi par les trois acteurs.
C’est vraiment le film qui vous a révélée. Vous avez mis un peu de temps, plus de dix ans, pour revenir au cinéma avec Saint Cyr, même si vous avez fait des téléfilms marquants comme Travolta et moi.
Je ne m’y prenais pas bien. Ce sont des histoires de vie, en fait.
Vous n’avez pas vraiment profité de l’accueil très favorable du premier film pour embrayer tout de suite sur autre chose….
Après, j’ai quand même fait Travolta et moi, qui a été un gros succès, mais uniquement à la TV. C’est surtout après Travolta et moi, que j’ai eu à régler des choses dans la vie qui ont fait que ça a déteint sur tout le reste.
Sur la durée, votre parcours est devenu satisfaisant.
Pour Saint Cyr, le producteur m’avait contacté avant Travolta et moi. J’ai eu beaucoup de mal à m’y mettre, à en voir l’intérêt. On n’arrivait pas à en dégager un scénario. C’était le premier film d’un très grand producteur. Il s’est vraiment accroché. N’importe quel autre producteur aurait lâché l’affaire.
Saint Cyr a bien marché à l’époque?
Très bien, Un gros succès. C’est le seul film que j’ai fait dont on peut dire qu’il a été un gros succès commercial. Enfin jusqu’à maintenant. Il avait un très bon distributeur qui avait vraiment fait le maximum. C’est extrêmement important, la distribution, pour la sortie des films.
Là aussi, pour La Prisonnière de Bordeaux, vous avez un film très bien accueilli, qui va sortir à la fin du mois d’août, avec une distribution très porteuse.
Oui, Régine Vial des Films du Losange, elle est vraiment incroyable!
Comme disait Truffaut, qu’il fallait faire le film suivant à l’opposé du film précédent, vous avez d’abord réalisé Bowling Saturne sur la violence des hommes, la masculinité toxique et maintenant c’est un peu le contraire, l’amitié empathique entre femmes.
Oui mais ce n’était pas un film contre l’autre. On m’a proposé La Prisonnière de Bordeaux en 2019 et comme Bowling Saturne ne se faisait pas, j’ai travaillé avec François Bégaudeau sur le scénario de 2019 à 2021. Ce n’est pas une opposition consciente. L’un explore la violence, la punition et l’autre, la douceur. Il y avait un élément de douceur à explorer, sinon cela allait être une chronique psychologique un peu ennuyeuse (rires). Je souhaitais qu’on soit pris par le coeur, qu’on explore l’émotion et la douceur, dans une histoire qui n’est pas si douce…Mais il fallait le faire avec une certaine légèreté dans le bon sens du terme. Les femmes de parloir que j’ai rencontrées, elles ne sont pas toutes douces du tout mais leur propension à la joie, à la vitalité, leur résilience, elle est très étonnante. Je me disais qu’il fallait qu’on sente cela quelque part.
Par rapport au reste de votre filmographie, c’est sans doute votre film qui paraît le plus apaisé.
Oui, les autres sont beaucoup plus brutaux. Je vous le dis, celui-là, il est doux. Même moi, je ne m’en rendais pas compte, c’est vraiment en le faisant. J’étais vraiment très angoissée avant le film. Comment va-t-on faire pour s’y intéresser, pour que cela tienne? Il s’agissait de forcer un peu la douceur, d’aller dans un endroit où les actrices jouent vraiment, dans la comédie ou le naturalisme, ce que n’est pas du tout Bowling Saturne. Bowling Saturne n’est pas vraiment naturaliste. Donc il y avait de l’opposition sur le style. Mais ce n’était pas de l’opposition « contre ». J’adore Bowling Saturne mais cela n’a rien à voir.
Ce qui est intéressant, c’est que ce ne sont pas des projets successifs mais parallèles. De plus, vous nous dites que vous étiez angoissée pour La Prisonnière de Bordeaux. On pourrait s’attendre à ce que vous le soyez davantage pour Bowling Saturne qui a un ton plus radical.
Je l’étais aussi, je vous rassure. Je suis tout le temps angoissée (rires). C’est surtout l’idée de faire quelque chose que je n’ai jamais fait avant ; du coup, on se demande si on va y arriver. C’est une sorte de défi personnel. Je n’avais jamais fait un film avec autant de dialogues, avec autant de femmes. Il fallait ne pas l’éviter, mais au contraire l’assumer.
S’il existe un point commun dans votre filmographie, c’est qu’elle est totalement imprévisible. Il n’y a aucun film qui ressemble vraiment à un autre.
Non, cela, j’aime bien, je préfère. Pourquoi faire toujours le même film? Cela dépend des gens mais moi ce n’est pas ma façon de faire.
C’est assez peu commun dans le cinéma français contemporain, sauf quelques cas comme Claire Denis ou Olivier Assayas qui font des films assez divers (Patricia Mazuy approuve). Ce qui fait qu’on ne sait jamais quel film on va avoir de leur part. Vous aussi, c’est toujours une surprise.
Ce n’est pas exprès. C’est le hasard des films qui arrivent à se faire. Un film ne se fait pas tout seul, et cela dépend surtout des acteurs qu’on met dedans.
Lorsque le projet a été annoncé, avec ce casting et ce titre, j’ai pensé à une sorte de roman de Simenon, et même plus précisément au film Betty de Chabrol, adapté de Simenon, parce qu’il y a aussi deux femmes de générations différentes et l’une qui accueille l’autre dans sa maison.
Ah oui, c’est marrant. Je ne l’ai pas revu, Betty, il faudrait que je le revoie. C’était bien, Betty, avec Marie Trintignant et Stéphane Audran, deux grandes actrices.
Je me demandais si le film allait verser dans la noirceur, la violence, la cruauté mais comme vous avez déjà exploré ces aspects, vous désamorcez en bien cette attente que l’on pourrait avoir.
Non, comme je venais de le faire, je ne vais pas y retourner tout de suite. Je ne dis pas que je n’y retournerais pas, mais pas tout de suite. C’était quand même dur et éprouvant pour le mental. Là aussi, c’était dur mais pour d’autres raisons, des raisons logistiques, de météo, de temps de tournage. En plus, si vous prenez Isabelle Huppert, et que vous lui donnez un rôle dur et violent, elle a déjà fait ça cent mille fois. Je trouvais cela bien plus excitant de révéler le côté gentil d’Isabelle. Et marrant. Marrant, elle l’a un peu fait, dans Copacabana ou Les Soeurs fâchées. Le côté drôle, on sait qu’elle peut le faire mais en revanche, la bonté tout en étant complètement perchée, elle ne l’a quasiment pas montré. Moi je trouvais que cela lui donnait un côté émouvant, tellement la vie du personnage est une catastrophe. Etre à ce point dans la légèreté, c’est une façade pour ne pas s’écrouler. C’est un personnage complexe, Alma. La Prisonnière de Bordeaux, c’est Régine, la distributrice qui a trouvé le titre, car on parlait des westerns que j’aime. Je trouvais cela super car cela fait romanesque, un peu comme La Prisonnière du désert ou dans un autre genre, La Princesse de Clèves. Je trouvais cela bien sinon le film était purement social. Moi cela me rassurait qu’il y ait du romanesque et du mélo car je ne suis ni Philippe Faucon ni Ken Loach. Les circonstances, elles sont fortes et je n’ai donc pas besoin de dix mille lignes de dialogues pour expliquer la différence de milieu social entre Mina et Alma, cela se voit. On voit aussi que Hafsia est étrangère dans la maison ; cela parle autant de racisme que de lutte des classes.
Isabelle Huppert, vous la retrouvez plus de vingt ans après Saint Cyr. Vous ne vous étiez pas perdues de vue?
Non, j’allais la voir de temps en temps au théâtre. Elle me disait, il faut qu’on refasse un film. Et donc lorsque celui-ci a été bloqué, je lui ai envoyé le scénario pour savoir ce qu’elle en dirait. Avant, je n’avais pas de rôle à lui proposer. Lorsque j’ai su qu’elle acceptait, j’ai vraiment pu développer Alma. Et le couple Isabelle-Hafsia a permis de faire financer le projet. Hafsia, c’est important.
Hafsia Herzi, c’est une actrice qui prend de plus en plus une dimension importante.
Dans le rôle de Mina, je la trouve vraiment fascinante. On a beaucoup préparé le film ensemble toutes les deux, à construire le personnage car sinon on tombait d’un côté dans le cliché de la bourgeoise esseulée, et elle le cliché de la mère courageuse dans sa cité. Une fois qu’on a dit cela, on peut arrêter le film, si on ne leur donne pas un peu de vraie complexité, une dimension émotionnelle à l’écran. Et puis il fallait travailler sa silhouette. Elle était tellement dans le vrai tout le temps qu’on a mis plusieurs mois pour construire quelqu’un d’autre, pour lui donner de la stature. Elle a grossi pour le film, pour ses joues aussi. Il fallait lui relever la tête, ouvrir ses yeux. Ce travail de maquillage/coiffure/habillage, elle s’en est servi comme une grande actrice qu’elle est comme outil de jeu.
Comment faites-vous pour diriger deux actrices comme elles qui ne jouent pas du tout dans le même registre et n’ont pas la même manière d’aborder leurs rôles?
Eh bien, je vais vous dire comme Mina, on fait ce qu’on peut, haha (rires). En fait, 90% de la direction d’acteurs, c’est le choix. C’est le casting, à mon avis. Et puis, c’est le travail en amont, avec Hafsia, car on ne se connaissait pas. Comme on tournait dans un désordre fou, en très peu de jours. c’était très difficile car non chronologique. Hafsia était tellement concentrée qu’elle était tout le temps incarnée, quoi qu’il se passe. L’important aussi, ce sont les situations et les lieux. Les lieux m’inspirent beaucoup. Par exemple, la blanchisserie, le décor est dément. On n’y a tourné qu’un seul jour car c’est une vraie blanchisserie et ils n’allaient pas arrêter la chaîne pour nous. A trois heures et demie, les machines s’arrêtent et à huit heures, il faisait nuit. On avait de neuf heures moins le quart à trois heures, pour filmer avec les machines. On a fait de l’abattage mais à l’écran, cela fonctionne.
Hafsia sortait du tournage de Borgo?
Oui, je l’ai su seulement en préparation. Les deux films n’ont pas vraiment la même thématique mais dealent tous les deux avec la prison. J’ai vu Borgo il n’y a pas longtemps, je cherchais à Hafsia un mari noir et j’ai dû changer car j’ai pensé que les gens allaient mélanger les deux films. J’ai perdu deux semaines de casting mais ce n’est pas grave.
Vous dites qu’il y avait deux idées parallèles, avec Bowling Saturne mais quelle était l’idée de départ? L’opposition entre deux femmes de milieux différents?
En fait, au départ, ce n’était pas un film pour moi. C’était un film de Pierre Courrège, écrit par Pierre Courrège et Bégaudeau. Ce n’étaient que des discussions, des scènes de dialogues, deux femmes qui se rencontraient dans des maisons d’accueil. On ne voyait pas les maris, il n’y avait pas d’histoire, que des dialogues. Potentiellement, cela aurait pu faire un très beau film mais pas par moi. Moi je ne sais pas faire ça. Que des dialogues, ça me gave. Potentiellement cela aurait fait un très bon film social sur des maisons d’accueil. Mais moi j’aime bien être emportée dans une aventure lorsque je vois un film. Ils n’étaient pas arrivés à le monter et donc en 2019, l’ami du producteur historique de ce film m’a appelé car il avait beaucoup aimé Paul Sanchez est revenu! Il m’a dit « j’ai adoré ce film. Pourquoi il n’a pas marché? ». Je lui ai répondu, il s’est viandé à la sortie, Il m’a dit, « j’ai un ami qui a un projet qui ne se fait pas, il veut l’arrêter mais cela l’embête ». Avant de lire le scénario, j’ai demandé à voir Pierre Courrège et Bégaudeau que je connaissais déjà par ailleurs, sur un projet sur les Russes, trop cher, qui n’a pas abouti. Comme j’avais besoin de travailler, j’ai dit ok mais il fallait qu’il y ait une histoire où il se passe quelque chose. J’ai donc eu l’idée de l’histoire à partir de laquelle on a reconstruit le film, un acte qui aura des conséquences paradoxales.
Vous aviez déjà travaillé avec Bégaudeau. Quel est à votre avis son apport dans le film?
C’est toute la finesse, la légèreté des dialogues, en particulier dans les dialogues d’Alma. La dernière année, j’ai réécrit le scénario avec l’aide d’Emilie Deleuze, dont pas mal de scènes. Mais c’est difficile d’écrire de bons dialogues qui ont du sens et qui peuvent rester légers, et ça, ça lui doit beaucoup. On a travaillé trois ans ensemble, de 2019 à 2021.
Je pensais aussi qu’il y avait un message sous-jacent sur la lutte des classes que Bégaudeau avait souhaité faire passer.
C’était très ça au début. Moi je l’ai transformé en conte. On passe apparemment un moment léger et le film travaille après, en profondeur. Il travaille après sur les gens, ils y pensent après. Cela tient à la douceur du film.
C’est très marquant, les films qui travaillent en profondeur plus que sur l’effet immédiat.
On se dit que le message, ce pourrait être que les pauvres ne sont pas gentils mais c’est en fait plus marrant que ça.
Vous travaillez vraiment cet aspect de profondeur?
Sur ce film-là, oui. Car, la dernière année, lorsque le film allait se faire, je me suis alors demandée comment le faire. Il fallait garder la légèreté. C’est très compliqué d’aller dans les prisons. On ne va pas dans les prisons comme on va au magasin. Il faut des autorisations, je ne les avais pas, je n’avais pas de production à un moment. J’ai regardé les documentaires de Stéphane Mercurio sur les maisons d’accueil et cela m’a vraiment aidée à réfléchir au film. Je ne pouvais pas aller dans les prisons et il ne fallait pas pulvériser des rapports avec l’administration pénitentiaire en y allant sans autorisation, sinon ils ferment les portes.
Le message du film, ce ne serait pas que l’amitié entre femmes de classes différentes est possible mais pas forcément durable?
En tout cas, dans les faits, ça dit ça. C’est une fable légère qui raconte une histoire qui, finalement, n’est pas si légère. Dans le premier scénario de Pierre Courrège, on ne voyait pas les maris et moi, je voulais les voir. Parce que sinon cela allait faire installation d’art contemporain, quelque chose de trop cérébral. C’est possible mais cela signifie que le film est destiné à être uniquement dans les maisons d’accueil. Pour moi, l’honnêteté c’est de voir ce que les femmes voient. C’est très dur, il y a beaucoup de moments de solitude. Chacune se trouve dans l’anxiété du moment.
Vous avez accompagné des femmes dans des prisons?
Celles qui se trouvent dans le film, j’ai travaillé avec elles. Jamais une actrice n’aurait pu faire ce qu’elles font, même si c’est restreint, sans avoir connu la situation. L’été avant le tournage, on a travaillé avec une amie actrice de spectacle vivant pour qu’elles puissent se jouer elles-mêmes, ce qui est très difficile, pour les préparer en fait.
C’était la première fois que vous avez travaillé avec des actrices amatrices?
Non, j’en avais dans Sports de filles, dans Travolta et moi, des ados, dans Sanchez, aussi un peu. Mais dans Sanchez, le jeu est tellement décalé que ce n’est pas pareil.
Cette amitié entre deux femmes aurait pu être durable?
Elle aurait pu. Chacune catalyse l’autre. Mina, cette amitié, elle va la nourrir tout le restant de sa vie. Et idem pour Alma, ça lui a changé sa vie. L’amitié cela peut être aussi ça, une amitié très forte et soudaine qui s’interrompt brutalement.
Mais qui peut avoir des effets positifs, même après la fin du lien. C’est pour cela que c’est un film, même sur fond de contexte dramatique, apaisé et positif. C’est votre film le plus accessible, avec Paul Sanchez, en raison de l’aspect drôle, léger, presque une comédie.
Paul Sanchez, c’était en effet un mélange de burlesque et de tragique. Moi je trouve ça très drôle mais ce n’est pas que drôle. Le nouveau film change de ton aussi mais il est à la fois comédie et portrait de femmes. Dans le film, Hafsia, c’est le burlesque et Isabelle la comédie. Hafsia me fait mourir de rire sur des positions de corps, dans le registre du cinéma muet, du pur Boris Barnet [grand cinéaste et acteur russe de comédies, NDLR]. Pour Hafsia, le guide c’était Boris Barnet. En schématisant un peu, c’est l’opposition du cinéma muet et du cinéma parlant. Pour moi, Hafsia peut tout jouer, elle est très drôle et a beaucoup d’humour. Elle pourrait jouer dans une comédie. Hafsia est très émouvante aussi, elle apporte une émotion immédiate. Quant à Isabelle, elle exprime parfaitement la fantaisie, l’esprit et l’auto-dérision du personnage.
Propos recueillis par David Speranski le 4 juillet 2024.
N.B ; la première partie de l’interview est centrée sur le nouveau film de Patricia Mazuy, La Prisonnière de Bordeaux ; la seconde évoquera davantage les autres films de son oeuvre ainsi que ses précieuses recommandations cinéphiliques.