Que retenir de cette cérémonie des Oscars? Peut-être pas la manifestation de violence de Will Smith envers Chris Rock, reflet de l’agressivité endémique et du climat de guerre latent dans lequel nous vivons aujourd’hui, qui représente un peu l’arbre qui cache la forêt. D’autres images marquantes, plus positives, viennent aussi en tête, comme Francis Ford Coppola, Al Pacino et Robert De Niro, présentant le cinquantenaire du Parrain, film mythique entre tous, les interventions musicales de Beyoncé ou de Billie Eilish, interprétant des morceaux qui ont marqué l’année musicale écoulée ou bien encore Lady Gaga et Liza Minnelli en fauteuil roulant, chargées de révéler le titre du lauréat de l’Oscar du meilleur film.
Car le plus important se trouvait en effet là dans cette victoire attendue d’un film de plateforme. Depuis 4 ans, à partir de l’année 2019 où Roma était déjà fortement pressenti pour l’Oscar du meilleur film, on ressentait cet acharnement des plateformes qui se faisait de plus en plus pressant. On prévoyait que le verrou allait céder. Il a sauté hier, évènement historique qui conditionne la suite de la réception des films qui va désormais avoir lieu. Comme nous l’avons déjà indiqué, le Festival de Cannes, les Oscars et les César représentaient les derniers bastions qui résistaient aux films en streaming, résistance qui allait même jusqu’à une interdiction totale de compétition pour Cannes et les César. D’un autre côté, la Mostra de Venise, les BAFTA, les Golden Globes ont toujours manifesté une tolérance certaine envers ce phénomène, traitant les films de plateforme au même niveau que les films en salles. Aujourd’hui, on peut prédire que l’Académie des Oscars entame un mouvement qui entraînera les derniers bastions de résistance à la rejoindre. La conséquence du triomphe de Coda est assez simple : il devient impossible de ne pas considérer les films de plateforme au même niveau que les autres. Un film diffusé en streaming peut désormais être estimé comme meilleur que ceux qui sont projetés en salles. Le privilège accordé aux films vus en salles disparaît définitivement. C’est donc une révolution copernicienne du cinéma qu’implique cette victoire de Coda. Il est possible de s’en désoler, de s’en réjouir mais certainement pas de la nier. Car elle va déterminer par la suite le mode ultérieur d’appréciation des oeuvres cinématographiques. La salle n’est plus le lieu sacré de la découverte des films, ce qu’a initié le développement des plateformes avant et surtout pendant la pandémie qui nous a affectés et continue de le faire.
Les esthètes se récrieront : Coda n’est assurément pas le meilleur film de la dizaine qui a été retenue pour concourir à l’Oscar. Licorice Pizza (notre préféré, de loin), The Power of the Dog, Drive my car, lui sont sans nul doute supérieurs. Ce qui fait que nombre de critiques ont vu leurs pronostics échouer car ils ont pris leurs désirs pour la réalité, en désignant comme favoris les films qu’ils préféraient. Les Oscars fonctionnent au contraire manière schizophène : environ une année sur deux ou trois, le meilleur film triomphe réellement ( cf. Le Silence des Agneaux, Impitoyable, Parasite, Nomadland), à condition qu’il soit précédé d’un succès public, soit suffisamment accessible et ne soit pas clivant. Les trois films précités, pour des raisons diverses, ne satisfaisaient pas au moins à l’une de ces trois conditions. Par conséquent, une année sur deux ou trois, les Oscars, moins inspirés, ne récompensent pas le meilleur film mais le film le plus consensuel, (cf. Miss Daisy et son chauffeur, Slumdog Millionaire, La Forme de l’eau, plutôt que Phantom Thread, Le Discours d’un roi, plutôt que The Social Network).
Coda répond à cette deuxième option. Cette production française, adaptation américaine de La Famille Bélier, est un joli film unanimiste, d’utilité sociale car il met en valeur l’entraide et la solidarité autour des handicapés. Contrairement à la version française, la version américaine a poussé le curseur jusqu’à engager des acteurs véritablement sourds-muets pour interpréter les membres de cette famille unie par l’affection et le handicap. Les membres de l’Académie, en rejetant globalement The Power of the Dog (un seul Oscar, celui de la mise en scène pour Jane Campion, sur douze nominations), a pointé le manque apparent d’émotion du film, en dépit de ses qualités artistiques incontestables. Ils se sont même montrés (involontairement?) cruels en refusant à Netflix le privilège d’être la première plateforme couronnée par l’Oscar du meilleur film, et en consacrant Apple TV +, moins connue et plus récente.
L’autre enseignement symbolique de cette cérémonie des Oscars, c’est que, même si Jane Campion n’a pas connu le triomphe espéré, Sian Hader, une autre réalisatrice, a pu bénéficier de cet échec. En effet, la réalisatrice de Coda, qui paraît construire une oeuvre sur les déclassés (Coda après Tallulah), s’est quelque peu substituée à Jane Campion. Une femme (blonde) en cachait en fait une autre. C’est l’autre grand enseignement de cette cérémonie des Oscars : le grand chelem féminin entamé l’année avec Nomadland, continue. Depuis, les réalisatrices ont triomphé à Cannes, Venise et Berlin. Coda, un an après Nomadland, perpétue cette domination féminine dans le monde du cinéma. Il devient difficile, même pour les plus misogynes, de ne pas en prendre conscience désormais.
Oscar du Meilleur film :
- Belfast
- Coda
- Don’t Look Up
- Drive my car
- Dune
- La Méthode Williams
- Licorice Pizza
- Nightmare Alley
- The Power of the Dog
- West Side Story
Oscar du Meilleur acteur :
- Javier Bardem, Being the Ricardos
- Benedict Cumberbatch, The Power of the Dog
- Andrew Garfield, Tick, tick… BOOM !
- Will Smith, La méthode Williams
- Denzel Washington, The Tragedy of Macbeth
Oscar de la Meilleure actrice :
- Jessica Chastain, The Eyes of Tammy Faye
- Olivia Colman, The Lost Daughter
- Penelope Cruz, Madres Paralelas
- Nicole Kidman, Being the Ricardos
- Kristen Stewart, Spencer
Oscar du Meilleur acteur dans un second rôle :
- Ciaran Hinds, Belfast
- Troy Kotsur, Coda
- Jesse Plemons, The Power of the Dog
- J.K. Simmons, Being the Ricardos
- Kodi Smit-McPhee, The Power of the Dog
Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle :
- Jessie Buckley, The Lost Daughter
- Ariana DeBose, West Side Story
- Judi Dench, Belfast
- Kirsten Dunst, The Power of the Dog
- Aunjanue Ellis, La Méthode Williams
Oscar de la Meilleure réalisation :
- Kenneth Branagh, Belfast
- Ryusuke Hamaguchi, Drive my car
- Paul Thomas Anderson, Licorice Pizza
- Jane Campion, The Power of the Dog
- Steven Spielberg, West Side Story
Oscar du Meilleur film d’animation :
- Encanto
- Flee
- Luca
- Les Mitchells contre les Machines
- Raya et le dernier dragon
Oscar du Meilleur scénario adapté :
- Coda
- Drive my car
- Dune
- The Lost Daughter
- The Power of the Dog
Oscar du Meilleur scénario original :
- Belfast
- Don’t look up
- La méthode Williams
- Licorice Pizza
- Julie (en 12 chapitres)
Oscar de la Meilleure photographie :
- Dune
- Nightmare Alley
- The Power of the Dog
- The Tragedy of Macbeth
- West Side Story
Oscar du Meilleur documentaire :
- Ascension
- Attica
- Flee
- Summer of soul
- Writing with fire
Oscar du meilleur court-métrage documentaire
- Audible
- Lead Home
- The Queen of Basketball
- Three Songs for Benazir
- When We Were Bullies
Oscar du Meilleur court-métrage :
- Ala Kachuu – take and run
- The Dress
- The long goodbye
- On my mind
- Please Hold
Oscar du Meilleur court-métrage d’animation :
- Affairs of the art
- Bestia
- Boxballet
- The Windshield Wiper
- Robin Robin
Oscar du Meilleur film étranger :
- Drive my car
- Flee
- La main de dieu
- L’école du bout du monde
- Julie (en 12 chapitres)
Oscar du Meilleur Montage :
- Don’t look up
- Dune
- La méthode Williams
- The Power of the Dog
- Tick, tick… BOOM !
Oscar du Meilleur son :
- Belfast
- Dune
- Mourir peut attendre
- The Power of the Dog
- West Side Story
Oscar des Meilleurs décors :
- Dune
- Nightmare Alley
- The Power of the Dog
- The Tragedy of Macbeth
- West Side Story
Oscar de la Meilleure musique originale :
- Don’t Look Up
- Dune
- Encanto
- Madres Paralelas
- The Power of the Dog
Oscar de la Meilleure chanson originale :
- « Be Alive », La méthode Williams
- « Dos Oruguitas », Encanto
- « Down to Joy », Belfast
- « No time to die », Mourir peut attendre
- « Somehow you do », Four good days
Oscar des Meilleurs coiffures et maquillages :
- Coming 2 America
- Cruella
- Dune
- The Eyes of Tammy Faye
- House of Gucci
Oscar des Meilleurs costumes :
- Cruella
- Cyrano
- Dune
- Nightmare Alley
- West Side Story
Oscar des Meilleurs effets spéciaux :
- Dune
- Free Guy
- Mourir peut attendre
- Shang-Chi et la légende des dix anneaux
- Spider-Man : No way home