En 2011, Sylvain George fait souffler un vent de renouveau sur le cinéma documentaire avec Qu’ils reposent en révolte (Des figures de guerre I), un premier long métrage sur la situation préoccupante des réfugiés à Calais. Récompensé dans de nombreux festivals, le film préfigure déjà l’importance du thème de la migration (ses espoirs, ses dangers, ses joies et ses désillusions) dans l’œuvre du cinéaste ainsi que son attrait pour le lyrisme et l’expérimentation de l’image. Ces dimensions se retrouvent dans Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où, présenté à l’ACID au Festival de Cannes 2025, qui capte le quotidien parisien de jeunes Marocains arrivés illégalement sur le territoire français à la recherche d’une vie meilleure. Sans révolutionner le genre de nouveau, le documentaire clôt une trilogie entamée trois ans plus tôt sur une note tout autant terrible, crue et poétique.
Après avoir parcouru les rues de Melilla, en Espagne, Malik, Mehdi et Hassan sillonnent maintenant celles de Paris, découvrant ses lumières et ses chimères, ses joies et sa violence… Dans le dernier volet de son triptyque consacré aux politiques migratoires, Sylvain George accompagne les enfants des rues du Maroc à travers cette épreuve et cet âge complexe, dans une Europe qui détourne les yeux.
C’est toute la détresse d’une génération qui s’exprime dans l’œil de Sylvain George, le cinéaste ne lésinant pas sur les longues séquences de vagabondage et d’ennui collectif qui apportent un enrobage cru à cette œuvre profondément politique.
Au bout des 3h03 de film, ce n’est pas l’aspect brut des longues séquences qui s’enchaînent que l’on retient le plus, mais bien la photographie soignée qui donne à l’œuvre et à son propos un lyrisme presque inédit dans le monde du documentaire. Les grands monuments de la capitale, l’écoulement continu de la Seine ou le reflet fantomatique des arbres dans un cours d’eau amplifient la solitude de ces jeunes Marocains qui semblent soudainement évoluer dans un monde parallèle au nôtre, dans un Paris miroir hostile où les seules interactions sociales, en dehors des échanges avec d’autres migrants, se résument aux échanges tendus avec la police. Alors que la violence est omniprésente dans le quotidien de ces figures juvéniles qui déambulent au gré des opportunités – plus ou moins légales – de gagner leur vie, l’apparition soudaine du beau, le temps d’un plan, sonne presque comme une anomalie, une fausse note dans le cycle de misère auquel semble être condamnée cette jeunesse sacrifiée. La figure de la Tour Eiffel cristallise ce paradoxe tant il paraît absurde de voir des mineurs isolés, sans domicile, évoluer au pied du célèbre monument sans que personne n’interagisse avec eux.
À travers leurs récits, les parcours de vie de Malik, Mehdi ou Hassan se mettent au diapason : tous ont fui un pays affecté par le chômage de masse et les inégalités pour se retrouver dans une Europe synonyme d’espoir mais qui fait l’autruche sur les conditions de vie des migrants. Les astuces pour obtenir un logement, des papiers ou trouver du travail s’échangent entre ces jeunes qui tuent l’ennui ensemble, à l’abri des regards, bien souvent avec des cigarettes, du soda ou des produits stupéfiants. C’est toute la détresse d’une génération qui s’exprime dans l’œil de Sylvain George, le cinéaste ne lésinant pas sur les longues séquences de vagabondage et d’ennui collectif qui apportent un enrobage cru à cette œuvre profondément politique.
Nuit obscure – Au revoir ici, n’importe où se présente non seulement comme le point final d’une épopée migratoire, mais aussi comme une remise en cause de notre propre humanité. Est-il moral d’empêcher des individus de fuir la misère de leur pays d’origine ? Est-il juste de les laisser endurer des conditions inhumaines une fois arrivés en France ou en Espagne ? Ces questions prennent une nouvelle dimension à l’heure où l’extrême-droite appelle à un cloisonnement plus fort de nos frontières : à défaut d’une sonnette d’alarme sur la situation des migrants, on peut concevoir l’œuvre de Sylvain George comme une grille de lecture humaniste sur un enjeu de société aussi bien opaque que clivant.
RÉALISATEUR : Sylvain George NATIONALITÉ : France GENRE : Documentaire AVEC : Pas d'acteurs professionnels DURÉE : 3h03 DISTRIBUTEUR : Noir Production SORTIE LE : date de sortie encore inconnue