Noël à Miller’s point : la vie est belle

Dans le rayon de la relève du cinéma américain, Tyler Taormina s’est signalé ces dernières années en consacrant ses films à des événements symboliques, les rendez-vous d’adolescents, le passage d’une comète (Ham on Rye, Happer’s comet) et en cofondant Omnes Films, un collectif cinématographique qui se définit comme un groupe « d’amis qui font primer l’atmosphère sur la trame et étudient les formes de la décadence culturelle du XXIème siècle« . Or, quel évènement plus symbolique que celui des fêtes de Noël, certes souvent montré au cinéma mais jamais de manière aussi centrale que dans le film de Taormina?  Noël à Miller’s point est ainsi un bien étrange film, au charme certain, voire euphorisant, divisé en deux parties, une partie à l’intérieur de la maison de famille, autour d’une matriarche qui perd les commandes, et une deuxième autour d’une fugue de deux adolescentes en quête d’ailleurs.

Une boule de Noël irisée, à la fois réconfortante et crépusculaire : Tyler Taormina filme un réveillon qui réunit les membres d’une famille italo-américaine de classe moyenne. Alors que la nuit avance et que des tensions éclatent, l’une des adolescentes s’éclipse avec son amie pour conquérir la banlieue hivernale.

Un bien étrange film, au charme certain, voire euphorisant, divisé en deux parties, une partie à l’intérieur de la maison de famille, autour d’une matriarche qui perd les commandes, et une deuxième autour d’une fugue de deux adolescentes en quête d’ailleurs.

Noël a souvent inspiré les cinéastes (Fanny et Alexandre de Bergman, La Vie est belle de Frank Capra, pour citer les plus célèbres). C’est l’occasion des célébrations festives, dont Tyler Taormina est particulièrement friand. Déjà trois films à son actif et à chaque fois la même fascination pour les événements symboliques apparaît. Noël lui permet d’afficher son goût pour les détails et surtout les atmosphères, ses films étant à l’évidence plus le lieu d’atmosphères que d’histoires à proprement parler. Très bien photographié par Carson Lund, metteur en scène d’Eephus (sortie en janvier 2025), autre représentant d’Omnes Films à la Quinzaine des Cinéastes 2024, Noël à Miller’s point se signale également par sa thématique intemporelle qui échappe à la chronologie ordinaire. Le film peut tout aussi bien se situer dans les années 50, 80 ou de nos jours, la maison étant le réceptacle d’un condensé d’époques. Dans la première partie, les membres d’une même famille italo-américaine arrivent dans la grande maison de la matriarche qui voit ses facultés mentales et physiques décliner progressivement. Le ballet des apparitions furtives et des saynètes fugitives fait qu’il est vite difficile de discerner un fil rouge narratif, hormis la possible disparition de la matriarche.

Si on voulait définir le film de Taormina, ce serait un film au thème spielbergien (la fête de famille) avec des motifs scorsesiens (la musique pop en particulier celle de Phil Spector, l’origine de la famille), le tout raconté à la manière chorale de Robert Altman. Cela tombe bien car ce n’est sans doute pas un hasard, les enfants respectifs, Francesca et Sawyer, de Scorsese et Spielberg se croisent dans de petits rôles au cours de ce film. Pourtant, cette brève synthèse stylistique se révèle insuffisante, tant Taormina possède une originalité qui dépasse ce type de références un peu basiques.

De la même manière que Ham on rye, Noël à Miller’s point n’a pas d’histoire à proprement parler, ce qui pourra agacer certains et en fasciner d’autres. Comme nous l’avons déjà souligné, c’est un film d’atmosphère où le spectateur sera amené à compléter ce que l’on voit à l’écran par ses propres souvenirs personnels, faisant office de miroir ou de contradiction à l’espace narratif. C’est également un film divisé en deux parties qui s’opposent et se complètent. En effet, sans crier gare, un peu avant la moitié du film, la narration qui commençait à permettre au spectateur de trouver ses repères bascule d’une tragi-comédie familiale sur une possible disparition à un film « coming of age » sur l’escapade de deux adolescentes de la famille qui partent à la découverte des garçons, Mais comme dans Ham on Rye, le personnage féminin qui sort du lot et sur qui l’intrigue aurait pu reposer, en étant à part du processus festif -Haley dans le premier film de Taormina ou Emily (l’excellente Matilda Fleming) dans celui-ci-, finit par se dissoudre dans un magma indifférencié de personnages, montrant ainsi que Taormina se soucie peu d’avoir un personnage-fil rouge dans sa narration.

Noël à Miller’s point possède donc deux parties qui peuvent paraître tout aussi insatisfaisantes, tout comme elles ont un certain goût entêtant de « revenez-y » pour les esthètes cinéphiles, peu habitués à trouver sous des atours de film pour les Fêtes, une oeuvre aussi clivée et doucereusement clivante. C’est tout le paradoxe d’une oeuvre inclassable, dont on ne sait véritablement où elle va mener le spectateur tout comme son auteur.

3

RÉALISATEUR : Tyler Taormina 
NATIONALITÉ :  américaine 
GENRE : comédie, drame 
AVEC : Matilda Fleming, Maria Dizzia, Francesca Scorsese, Elsie Fisher, Michael Cera, Sawyer Spielberg 
DURÉE : 1h46 
DISTRIBUTEUR : Paname Distribution
SORTIE LE 11 décembre 2024