Depuis le 5 octobre 2017, un film est devenu extrêmement emblématique de ce que les femmes participant au milieu du cinéma ne veulent plus voir se reproduire désormais : Le Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci. Succès-scandale dans les années 70, ce film du célèbre cinéaste italien est resté malheureusement célèbre pour une scène sexuelle entre la débutante Maria Schneider et le vétéran Marlon Brando, scène qu’il est possible, même si l’acte est simulé, d’assimiler à un viol et à un abus de pouvoir, Maria Schneider n’ayant pas été prévenue de la tournure des événements. Adaptation assez libre de Tu t’appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider, journaliste au Monde et cousine de l’actrice, Maria souhaite raconter l’histoire méconnue de cette jeune actrice broyée sur le bûcher du Septième Art, sous prétexte d’arracher des réactions de vérité, au mépris des droits de la personne.
Maria a quinze ans. Fille de l’acteur Daniel Gélin qui ne l’a pas reconnue et d’une ex-mannequin, Marie-Christine Schneider, elle ne supporte plus l’autorité de sa mère et décide d’aller à la rencontre de son père. Ce dernier va la faire entrer dans l’univers du cinéma, des tournages avec Alain Delon, Brigitte Bardot, etc. Jusqu’à ce que, quelques années plus tard, elle décroche le rôle principal du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci…
Maria apparaîtra surtout comme une reconstitution pesante et très peu crédible de l’époque, à la frontière du téléfilm, dans le mauvais sens du terme, où des acteurs, en dépit parfois d’un talent évident, ne parviennent pas à incarner de façon vraisemblable les protagonistes de l’histoire, et où le traitement par la mise en scène, l’image et (surtout) le son s’avère d’une vacuité désespérée.
Maria reconstitue l’ambiance de la fin des années 60 et du début des années 70, où l’actrice Maria Schneider émerge sur le devant de la scène. On assiste donc à son départ du foyer familial, sa rencontre avec son père, ses premiers tournages, son ivresse de faire partie du monde du cinéma, etc. Et on arrive donc très vite au bout de 20 minutes sur le tournage du Dernier Tango à Paris. Si on considère ce film comme une oeuvre de prévention, un avertissement lancé aux jeunes actrices qui voudraient se lancer dans un métier risqué à tous égards, reconnaissons qu’il remplit cet office, un peu comme Le Consentement de Vanessa Filho pouvait faire oeuvre utile en dénonçant les agissements des écrivains pédophiles. Sous cette perspective, Maria peut, à l’égard de ceux qui ne connaissent strictement rien de l’histoire tragique de Maria Schneider, avoir un aspect judicieusement pédagogique.
Pour ceux qui considèrent que les meilleures intentions ne suffisent pas forcément, qui connaissent le triste destin de Maria Schneider et estiment que les qualités esthétiques d’un film peuvent être distinctes d’une entreprise de réhabilitation morale, Maria apparaîtra surtout comme une reconstitution pesante et très peu crédible de l’époque, à la frontière du téléfilm, dans le mauvais sens du terme, où des acteurs, en dépit parfois d’un talent évident, ne parviennent pas à incarner de façon vraisemblable les protagonistes de l’histoire, et où le traitement par la mise en scène, l’image et (surtout) le son s’avère d’une vacuité désespérée.
Entendons-nous bien. Les meilleures intentions du monde ne suffiront jamais à produire du vrai cinéma et il n’est pas question de distinguer un film, uniquement pour des raisons idéologiques. La cause est évidemment juste : Le Dernier tango à Paris, malgré des prolégomènes intéressants, (cette idée de faire l’amour avec un(e) partenaire inconnu(e) dans un appartement vide), traîne manifestement en longueur et seul l’attachement que l’on peut ressentir envers Maria Schneider ou Marlon Brando peut nous convaincre d’aller jusqu’au bout de cette oeuvre complaisante, où Bertolucci, pourtant si brillant dans Le Conformiste, se prendra pour un petit génie du cinéma, en exposant son actrice à une souffrance morale jamais expérimentée. Il continuera d’ailleurs dans 1900 à provoquer pour provoquer, en montrant un fasciste faire exploser le crâne d’un enfant, en temps quasiment réel.
Ce qui frappe dans le film de Jessica Palud, c’est la volonté de « faire comme si », alors que rien ne s’avère crédible au bout du compte : ni la reconstitution absente de l’époque, ni l’investissement général des comédiens, souvent en pilotage automatique (Yvan Attal ou l’interprète de Bertolucci, semblant réciter du très mauvais théâtre), ni le rythme interne souffreteux du film qui enchaîne des blocs de séquences sans liant suffisant. Jessica Palud passera en hors-champ ou ellipse les premiers pas de l’actrice dans le cinéma, De même, les autres tournages de Maria Schneider ne seront pas exposés (Antonioni, seulement cité dans un dialogue, Rivette oublié et même l’expérience malheureuse chez Buñuel passée aux oubliettes). Enfin, la dernière partie du film, Maria sombrant dans la toxicomanie, paraît bien trop programmée pour se révéler véritablement émouvante. Seul Matt Dillon paraît être la très bonne idée de casting, endossant sans trop de difficulté la carcasse d’un Marlon Brando vieilli, via Francis Ford Coppola qui a fait jouer les deux devant sa caméra. Bref, on attendait bien plus de ce projet de biopic, a priori sulfureux, lyrique et romanesque, que ce mélodrame empesé, dépourvu de rythme et de réelle passion.
Reste alors le coeur du film, Anamaria Vartolomei, l’une des comédiennes françaises les plus intéressantes du moment, très (trop) éloignée de l’apparence physique de la véritable Maria Schneider, – bien plus boulotte au début de sa carrière -, qui confirme avec ce rôle, après L’Evénement, son goût méritoire du risque et des expériences a priori traumatisantes. Même si, au fur et à mesure du film, elle ressemble de plus en plus à son modèle, l’écart de départ semble bien trop immense pour éviter le « miscasting », tant son physique de porcelaine est excessivement fin pour prétendre se glisser dans l’enveloppe plus rugueuse de l’actrice de Merry Go-round ou Profession reporter. Elle joue Maria Schneider mais échoue à être Maria, en dépit de tout son réel talent qui aurait pu bien mieux s’exercer dans une multitude de rôles. Il eût fallu un sens de la déglingue, un mépris des conventions, une provocation permanente, un esprit de rébellion que Maria possédait et qui l’a définitivement empêchée d’intégrer le système des « professionnels de la profession« .
RÉALISATRICE : Jessica Palud NATIONALITÉ : française GENRE : drame, biopic AVEC : Anamaria Vartolomei, Matt Dillon, Yvan Attal, Marie Gillain, Céleste Brunnquell, Giuseppe Maggio, Stanislas Mehrar DURÉE : 1h40 DISTRIBUTEUR : Haut et court SORTIE LE 19 juin 2024