Magma : Au cœur du volcan : foyer d’une éruption avant tout humaine

Troisième long-métrage de Cyprien Vial, Magma fait suite à Bébé Tigre (2014) et Embrasse-moi (2017). Si le premier, centré sur un adolescent indien immigré en France confronté à de lourdes responsabilités familiales, a été bien accueilli par la critique, le second, traitant de la difficulté d’une femme lesbienne à nouer des relations amoureuses matures, a suscité des avis plus partagés. Avec Magma, Vial signe à nouveau un film social qui nous plonge dans la culture de ses protagonistes, à l’instar de Bébé Tigre. Cette fois, c’est en Guadeloupe que le récit prend place, explorant les répercussions scientifiques, politiques et humaines d’une catastrophe naturelle : une éruption volcanique. Grâce à sa cinématographie, le film s’inscrit dans la lignée de ces très belles œuvres où les volcans tiennent le rôle principal, à l’image de celles de Werner Herzog. Le film s’inspire notamment de ses documentaires La Soufrière, qui évoque l’éruption du volcan éponyme en 1976, et Requiem pour Maurice et Katia Krafft, consacré au célèbre couple de volcanologues. Cependant, Vial fait ici le choix de la fiction en transposant l’événement historique de 1976 à notre époque et en y intégrant des personnages inventés. Dès lors, dans quelle mesure la fiction sert-elle ici le récit ?

Katia, volcanologue métropolitaine installée en Guadeloupe depuis plusieurs années, est devenue une référence scientifique. Elle supervise l’activité des volcans de l’île avec l’aide d’Aimé, un jeune thésard. À eux deux, ils forment un binôme que tout oppose. Elle, plus âgée, possède l’expérience d’une vie entière dans le domaine. Métropolitaine, blanche et issue d’un milieu plus aisé, elle incarne l’autorité scientifique. Lui, encore étudiant, est nouveau dans le métier et fait face à sa première éruption en tant que volcanologue. Natif de l’île, il la connaît cependant intimement, tout comme son histoire et ses habitants. Un jour, l’éruption de la Soufrière place Katia et son équipe en première ligne pour conseiller les autorités sur la marche à suivre en fonction des risques afin d’éviter la catastrophe. Malgré des outils scientifiques précis, l’ampleur de l’éruption reste pourtant incertaine, car le volcan demeure imprévisible. Comment gérer une crise dont l’intensité est impossible à prédire ? Le préfet choisit d’appliquer le principe de précaution et ordonne l’évacuation d’une partie de l’île, plutôt que de suivre les recommandations des scientifiques, qui ne la jugent pas encore nécessaire. Loin de chez eux depuis de longs mois, les évacués sont à bout. Beaucoup décident de ne plus suivre les consignes, et le chaos gagne l’île alors même que le magma, s’accumulant dans le volcan, commence à devenir véritablement dangereux. À mesure que la pression monte, les tensions entre scientifiques, politiciens et population s’intensifient au sein de l’île… mais aussi dans la vie de Katia.

Loin des films catastrophistes et sensationnalistes sur les volcans, qui finissent souvent sur une explosion dévastatrice, ce film reste dans la retenue, tout en pudeur, car le sujet se trouve ailleurs.

La mise en scène est particulièrement soignée, avec de très beaux plans retravaillés pour rappeler le grain de l’argentique, qui mettent en lumière la nature guadeloupéenne, dominée par ce sommet à la fois magnifique et terrifiant. La colorimétrie, marquée par des teintes vertes et terreuses, renforce l’atmosphère du film, ancrée dans ce paysage typique de l’île. La bande-son, quant à elle, est d’une grande justesse et accompagne efficacement le récit, accentuant sa montée en tension progressive. Très sensoriel, ce film nous immerge complètement dans son univers. S’il déploie lentement sa tension dramatique avec beaucoup de suspense, il réussit à le faire sans clichés. Loin des films catastrophistes et sensationnalistes sur les volcans, qui finissent souvent sur une explosion dévastatrice, ce film reste dans la retenue, tout en pudeur, car le sujet se trouve ailleurs. Les tensions, qui s’accroissent progressivement à mesure que le magma s’accumule, se déploient particulièrement entre les personnages. Plus qu’une simple histoire de catastrophe naturelle, c’est une histoire de gestion de crise, dans toute la complexité des dimensions humaines, sociales et politiques… autant d’entrelacs dans lesquels se retrouvent confrontés nos deux personnages principaux et la communauté scientifique dans son ensemble. Le dénouement, loin du scénario catastrophe, est intelligemment mené et, tout de même, poignant, car il conclut l’œuvre sur l’évolution de ses personnages, obtenue grâce à l’imminence de la catastrophe.

L’intelligence du film réside en grande partie dans le développement pertinent des arcs narratifs des personnages. Celui de Marina Foïs est particulièrement intéressant : elle débute comme une figure d’autorité, peu encline à se remettre en question. Certains y verront une posture liée à son statut de scientifique, d’autres au fait qu’elle soit blanche dans un pays majoritairement noir, ou encore à son âge et son expérience. Quoi qu’il en soit, son personnage s’impose dès le départ par une assurance presque excessive, ce qui peut le rendre agaçant dans un premier temps. Mais au fil du récit, plusieurs événements viennent ébranler ses certitudes et l’amènent à une profonde remise en question. Tandis qu’elle apprend, d’abord malgré elle, à se mettre en retrait, un autre personnage prend progressivement de l’ampleur en lui apportant une contradiction bienvenue, tant il s’oppose à elle avec la légitimité conférée par son appartenance à l’île et, surtout, par ses connaissances du sujet. Son interprète, Théo Christine, est une belle révélation : il incarne ce rôle complexe avec une grande justesse, apportant à son personnage une légitimité méritée, portée avec grâce et humilité.

Plus largement, le film aborde son sujet de manière originale et nuancée, en confrontant le drame humain à la dimension politique. Le préfet se trouve face à un dilemme cornélien : doit-il maintenir les habitants chez eux, malgré le risque – encore incertain – d’une catastrophe, ou bien ordonner leur évacuation, au prix de lourdes conséquences économiques et sociales ? Cette tension met en lumière la place complexe des scientifiques, en tant que conseillers dans le processus décisionnel du préfet, incarné par Matthieu Demy, lieutenant de la macronie, hanté par les répercussions qu’une mauvaise gestion pourrait avoir sur sa carrière. À travers sa décision finale d’évacuer, le film explore les conséquences concrètes de cette mesure : la perte éventuelle d’emplois, la déscolarisation des enfants, ou encore la crainte des pillages en l’absence des habitants. Ainsi, le film soulève une question plus large : celle de la légitimité de chacun à prendre de telles décisions. D’abord, les scientifiques sont perçus comme des références incontournables, censés apporter des certitudes, bien que leurs analyses reposent uniquement sur des modélisations, incapables de prédire l’avenir avec une exactitude absolue. En arrière-plan, les métropolitains, pour beaucoup, occupent des postes décisionnels, à l’image du préfet ou de la volcanologue en chef. Leur rôle, parfois perçu comme le prolongement d’un système hérité du passé colonial, est remis en question par une partie de la population locale qui refuse désormais de se soumettre à leurs ordres. Ce refus, parfois violent, se clarifie grâce à l’immersion dans leur intimité, qui permet au film de nous faire comprendre les problématiques auxquelles ils sont confrontés. Toutefois, en raison de leur connaissance de l’île acquise par leur vécu, les locaux, qui pensaient pouvoir s’affranchir des mesures de sécurité, se retrouvent eux aussi confrontés à l’imprévisibilité de la nature, qui, inévitablement, aura le dernier mot.

Finalement, ce film offre un retournement de perspective intéressant en donnant la parole à ceux qui en sont habituellement privés, suscitant une réflexion pertinente sur ce qui confère la légitimité à prendre des décisions d’une telle ampleur dans notre société. Le fond est très joliment soutenu par la forme, avec des plans soignés et une bande-son particulièrement efficace, qui viennent véritablement renforcer le propos. Une belle surprise.

3.5

RÉALISATEUR : Cyprien Vial
NATIONALITÉ :  Française
GENRE : Drame
AVEC : Marina Foïs, Théo Christine, Mathieu Demy
DURÉE : 1h 25min
DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution
SORTIE LE 19 mars 2025