Réalisateur québécois, Ken Scott s’est d’abord illustré au Canada avant de se faire un nom à l’international avec Starbuck (2011), une comédie tendre et loufoque sur un quadragénaire resté adolescent découvrant que, suite à des dons de sperme anonymes, il est le père biologique de 533 enfants, tous désireux de le rencontrer. Avec Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan, le réalisateur change de registre mais puise à nouveau dans une histoire vraie, celle de Roland Perez, avocat de la chanteuse, qui avait lui-même relaté son parcours dans un roman. Toutefois, ce n’est pas la première fois que le cinéaste s’attaque à une adaptation littéraire puisqu’en 2018, L’Extraordinaire Voyage du fakir marquait déjà une tentative bien accueillie par le public. Avec ce dernier film, Ken Scott délaisse cependant la simple comédie pour s’aventurer sur un terrain plus hybride, où le drame s’invite aux côtés de l’humour. Il y explore des thèmes profonds – le handicap, le deuil et, surtout, la relation mère-fils dans toute son intensité, portée par cette phrase murmurée en arabe par la mère à son fils tout au long du film : « Je donnerais ma vie pour toi. » Habitué aux registres plus légers, le réalisateur réussit-il à naviguer entre les genres sans atténuer la puissance de son sujet ?
Dans les années 1960, un couple juif marocain immigre en France pour offrir une vie meilleure à ses enfants. Mais quand le petit dernier naît avec un pied bot, le rêve de perfection de sa mère s’effondre. Refusant d’accepter ce handicap, elle fait une promesse qui ouvre le film : « Mon fils ira à l’école en marchant sur ses deux jambes. » Une ambition dévorante qui la pousse à écumer tous les médecins de Paris, jusqu’à une certaine rebouteuse… Enfermé dans une relation fusionnelle avec sa mère, l’enfant passe des années à être trimballé de cabinet en cabinet, porté à bout de bras dans l’espoir que la prophétie se réalise. L’enfance se déroule alors devant la télévision, îlot central de cet appartement des années 60, où il grandit, bercé par la culture yéyé. Au sein de ce véritable temple domestique, il y vénère sa propre déesse : Sylvie Vartan. Fenêtre sur le monde extérieur, elle devient une raison de rester connecté à la réalité… et peut-être même de s’en sortir ?
Malgré des choix narratifs inégaux et une ambition qui finit par le desservir, le film reste toutefois un récit attachant et un bon divertissement.
Récit de mémoire, le film traverse les époques et brille particulièrement dans sa première partie, véritable ode nostalgique aux années 1960 et 70. Des couloirs du métro parisien Art Déco aux HLM aux papiers peints texturés, tout dans cette reconstitution évoque un Paris d’antan qui parlera à tous, qu’on l’ait vécu soi-même ou à travers ses parents. La colorimétrie pop et les costumes soignés – pantalons pattes d’eph et chemises cols pelle à tarte pour la ribambelle d’enfants – ajoutent un charme savoureux au film. Le film est rythmé par les tubes de la vedette, lesquels sont repris en chœur par la famille, autour de la couscoussière pour les adultes ou d’une brosse à cheveux pour les enfants.
Au cœur de ce décor, c’est la relation mère-fils qui prévaut, aussi fusionnelle qu’étouffante. Le déni de la mère de la maladie de son fils l’enferme certes dans une obsession, mais lui confère une force presque magique : persuadée que son fils marchera un jour, elle s’accroche à cette certitude jusqu’à la rendre réalité. Avant même qu’il ne le devienne, elle est son avocate. Leïla Bekhti nous convainc dans ce rôle de mère louve, régnant sur son petit monde de formica et de napperons, prête à sortir les griffes pour défendre son enfant. Fidèle à son registre, elle joue une femme à la répartie mitraillette, maniant une verve chargée d’émotion. Parfois excessive, elle impose tout de même une présence puissante qui captive. Le film repose sur la force de leur lien et cherche constamment à jongler entre les registres, nous faisant passer du rire aux larmes, parfois à travers des ficelles un peu grossières. Toutefois, ce ton à tout prix léger qui règne entre deux crises de larmes de Leïla Bekhti, même lorsque des thèmes graves sont abordés, a du mal à complètement embarquer le spectateur. Ce grand écart émotionnel, parfois mal à propos, finit par perdre en authenticité : on n’est ni vraiment bouleversé, ni totalement amusé.
Toutefois, derrière cette mère, c’est une véritable chorale de frères et sœurs, voisines et tantes qui se rassemble dans un mouvement joyeux en soutien à l’enfant. Tous, guidés par cette mère prophétique, accompagnent sa guérison. Contrebalançant cette figure maternelle obsessionnelle, deux autres femmes fortes émergent : la rebouteuse et l’assistante sociale. Peu enclines à accepter les méthodes dangereuses de cette mère qui s’accroche à un espoir peut-être vain, elles s’opposent à son refus de laisser son fils sortir ou aller à l’école tant qu’il ne sera pas guéri—au risque qu’il ne le soit jamais. Mais ces deux femmes, pourtant aux antipodes de la mère—françaises, bourgeoises, opposées à son modèle d’éducation—exercent d’abord sur elle une violence symbolique avant de s’imposer comme un contrepoint essentiel. Finalement, elles viennent équilibrer son influence, formant avec elle un trinôme savoureux d’éducatrices.
Porté par de nombreux acteurs sur près de quarante ans, ce film embrasse donc une multitude de sujets—ceux d’une vie entière… et c’est peut-être un peu trop ambitieux. Si l’histoire captive par son originalité et sa success story incroyable (à comprendre dans tous les sens du terme, parfois difficile à croire), elle souffre aussi d’une densité excessive. De nombreux événements s’enchaînent sans toujours être bien exploités, créant un sentiment d’inachevé—une difficulté récurrente dans les adaptations de livres au cinéma. Finalement, le film finit par nous perdre, notamment lorsqu’il abandonne l’univers visuel éclatant du début pour basculer dans un cadre plus réaliste et moins travaillé à mesure que l’enfant grandit. De plus, l’enchaînement rapide des scènes rend difficile l’approfondissement des personnages secondaires, rendant leur évolution moins marquante et nous attachant de moins en moins à eux—à l’exception du duo mère-fils, qui reste le cœur émouvant de l’histoire. La note positive de cette seconde partie reste le jeu de Jonathan Cohen. Si l’on pouvait avoir quelques doutes sur sa capacité à incarner un rôle plus sérieux, c’est un pari plutôt réussi : il se révèle touchant. Certaines tentatives ambitieuses, en revanche, nous font complètement sortir du film, comme l’utilisation d’une IA pour recréer une jeune Sylvie Vartan—totalement maladroite—ou le vieillissement de Leïla Bekhti par maquillage, avec un résultat plus ou moins convaincant. À l’image de ces choix, certains éléments auraient gagné à être suggérés plutôt que montrés frontalement, rendant le film plus subtil. En se recentrant sur ses storylines principales et en leur donnant plus de profondeur, il aurait sans doute mieux capté l’attention du spectateur, rendant ses moments dramatiques et comiques plus justes.
Finalement, le film oscille entre les genres sans totalement convaincre. On pleure un peu, on sourit beaucoup, mais sans atteindre l’intensité émotionnelle promise par le pitch et le titre. C’est surtout son début qui marque, avec une identité visuelle forte et un duo mère-fils touchant. Malgré des choix narratifs inégaux et une ambition qui finit par le desservir, le film reste toutefois un récit attachant et un bon divertissement.
RÉALISATEUR : Ken Scott NATIONALITÉ : Franco-canadien GENRE : Comédie dramatique AVEC : Leïla Bekhti, Jonathan Cohen, Naïm Naji, Sylvie Vartan, Jeanne Balibar, Joséphine Japy, DURÉE : 1h42 DISTRIBUTEUR : Gaumont Distribution SORTIE : le 19 mars 2025