L’Inconnu De La Grande Arche : controverses autour de l’auteur et de la création

Présenté dans la section Un Certain Regard du Festival de Cannes 2025, L’Inconnu De La Grande Arche est le nouveau long-métrage du réalisateur et producteur français Stéphane Demoustier (La Fille au bracelet, 2019 ; Borgo, 2024). Racontant l’histoire de la conception et de la construction de La Grande Arche de La Défense à Paris, le film propose une reconstitution délicate mais rigoureuse de l’état d’un artiste confronté aux lenteurs administratives et aux entraves institutionnelles dans sa tentative de concrétiser sa vision.

L’intrigue débute avec le lancement d’un concours international d’architecture, remporté par un architecte danois méconnu : Otto von Spreckelsen. Lorsqu’il est retrouvé au Danemark, aux côtés de son épouse, pour recevoir le prix et commencer les travaux, le ton victorieux de départ s’érode peu à peu. La machine bureaucratique française, couplée à des intrigues souterraines, ne produit rien d’autre que des obstacles à la réalisation de la vision initiale d’Otto. À mesure que le projet prend une forme de plus en plus éloignée de celle qu’il avait imaginée, les tensions montent entre tous les acteurs du chantier — y compris entre le couple jusque-là fusionnel — et la valeur même de la construction devient une source de doute pour Otto lui-même.

Préférer l’idée à sa réalisation, c’est peut-être craindre la création concrète, celle-là même qui remet toujours en question le rôle de son créateur.

La grande réussite du film réside dans sa capacité à exposer subtilement un problème aussi complexe: celui de la confrontation entre l’idée artistique et la réalité du terrain. L’Inconnu De La Grande Arche ne propose pas de conclusion tranchée, mais met en scène une situation ouverte à l’interprétation du spectateur. Otto était-il un génie dont la fidélité absolue à sa vision le plaçait au-dessus de ceux qui adaptent leurs idées aux contraintes du réel? Ou n’était-il qu’un créateur stérile, dont les seules réalisations concrètes se résument à sa propre maison et à quatre églises? Le film expose avec finesse les arguments des deux positions et, en refusant d’imposer une lecture unique, il gagne en justesse et en authenticité.

À deux reprises, Otto compare ses projets architecturaux à de la musique matérialisée. Cette idée fait écho à un célèbre exemple : celui du motet Nuper rosarum flores, composé par Guillaume Dufay au XVe siècle. Il est communément admis que sa structure proportionnelle — 6:4:2:3 — reflète celle du dôme de Santa Maria del Fiore à Florence, pour l’inauguration duquel l’œuvre fut écrite, et renvoie également aux dimensions du Temple de Salomon décrites dans le Livre des Rois. Aussi élégante et poétique que soit cette analogie entre musique et architecture, les recherches récentes remettent en cause sa véracité historique. Et de la même manière, l’obsession d’Otto à vouloir réaliser son idée de manière pure, sans compromis, l’éloigne de la réalité et du chantier lui-même.

L’un des enseignements majeurs du film tient dans ce constat : la figure de l’auteur — surtout lorsqu’il est inflexible et obstiné — devient peu fonctionnelle. Les idées naissent dans une sphère abstraite, mais dès qu’elles sont incarnées, elles se transforment au contact du réel et sous l’effet de celles et ceux qui participent à leur mise en œuvre. Préférer l’idée à sa réalisation, c’est peut-être craindre la création concrète, celle-là même qui remet toujours en question le rôle de son créateur.

Comme le précise une note en ouverture du film, l’histoire est inspirée de faits réels, tandis que la relation entre l’architecte et son épouse relève de la fiction. Et c’est précisément dans cette part de fiction que Stéphane Demoustier trouve un juste équilibre, traitant le sujet avec une délicatesse rare. Il parvient ainsi à faire émerger, à travers le récit, ce que l’auteur voulait sans doute exprimer plus profondément : la véritable puissance de la création artistique.

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RÉALISATEUR : Stéphane Demoustier 
NATIONALITÉ :   France, Danemark
GENRE : Drame
AVEC : Claes Bang, Sidse Babett Knudsen, Michel Fau
DURÉE : 1h 45min
DISTRIBUTEUR : Le Pacte
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