Pyramide Distirbution

L’Histoire de Souleymane : entretien débauche

Un nouveau proverbe cinématographique pourrait voir le jour avec d’un côté Moi, Capitaine réalisé par Matteo Garrone et de l’autre, L’histoire de Souleymane réalisé par Boris Lojkine : les films se suivent, mais ne se ressemblent pas. Dénué de la moindre force politique, Moi, Capitaine arrêtait l’ignominie du voyage violent de son héros aux frontières de l’Europe. L’Afrique c’est mal, ici c’est mieux. Heureusement, loin de l’illusion d’une Europe pacifiste, non dénuée de rejet, de mépris et d’agressivité, le réalisateur de Hope (deux personnages qui étaient déjà sur la route de l’Europe) Boris Lojkine amplifie et prolonge le parcours d’un sans-papiers avec l’histoire de Souleymane. 

Ce grand geste cinématographique qui mêle recherche documentaire et souffle de la fiction.

À Paris, un jeune homme est dehors dans une file d’attente. Sur sa tête, un bonnet, des écouteurs dans les oreilles et un anorak pour se prémunir de la pluie. Ce jeune Guinéen patiente pour un rendez-vous important : l’obtention de sa demande d’asile. Alors qu’une date d’entretien lui est proposée, le garçon s’occupe à pédaler dans les rues parisiennes sur son vélo chargé d’un sac de livraison isotherme. Dans une journée interminable, menacé par la frénésie automobile, les carrosseries gonflées des bus, les gouttes d’eau d’une pluie glaçante, Souleymane se livre aux dangers quotidiens pour distribuer des repas. Clairvoyant sur l’utilisation abusive de cette main-d’œuvre bon marché, Boris Lojkine restitue un cheminement de l’argent et de sa transformation passant des milieux bourgeois aux bureaux d’affaires, des étages à monter et des attentes à rallonges, d’une acheteuse méprisante au restaurateur irrévérencieux. La circulation et la connexion de ce système passent par une débauche d’énergie folle que représentent les jambes moulinantes de Souleymane pris dans l’engrenage d’une précarité dont il est le seul, avec les autres sans-papiers, à connaître le nom et l’essence, partageant en plus ce petit dû (environ 250€/semaine) avec le gestionnaire du compte de l’application pour laquelle il travaille.

Au chaos de la rue, à l’intensité de l’énergie dépensée et du sentiment de danger omniprésent, s’ajoutent à Souleymane la logistique de son quotidien : l’argent qu’il doit à son employeur clandestin, la réservation d’un bus et de la nuitée dans un centre d’accueil, l’envoi d’argent pour une mère malade et surtout, la création d’un récit suffisamment fort pour obtenir son sésame, la demande d’asile. “Je ne sais pas pourquoi je suis venu en France” lâchera-t-il à son amour impossible restée en Guinée. Si les embûches ne cessent de s’additionner, c’est le corps fatigué et le visage tuméfié par cette société brutale que Souleymane se présente à son entretien avec l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Un calme sourd, encore plus stressant, s’installe dans le bureau de l’Institution que représente parfaitement le visage impassible de Nina Meurisse (interprète de Camille, photoreporter tuée à la frontière camerounaise dans le précédent film de Boris Lojkine). Dans cette séquence, quasiment un court-métrage dans le film, Souleymane raconte l’histoire qu’il s’est répétée à lui-même, qu’il a soigneusement fabriquée avec une aide payante – car l’exploitation des sans-papiers est lucrative – l’histoire supposée attendue parce que, pour le jeune homme, il devient plus facile de jouer un personnage que de faire face, à nouveau, à sa propre histoire. 

Et on comprendra, dans ce geste cinématographique qui mêle recherche documentaire et souffle de la fiction, que cette histoire, celle de Souleymane, c’est celle de nombreux sans-papiers et spécifiquement celle, vraie, de son acteur principal, Abou Sangare, né le 7 mai 2001 à Sinko, dans le sud-est de la Guinée, à qui la France vient de refuser sa régularisation.

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RÉALISATEUR : Boris Lojkine
NATIONALITÉ : française
GENRE : drame
AVEC : Abou Sangare, Nina Meurisse, Alpha Oumar Sow
DURÉE : 1h33
DISTRIBUTEUR : Pyramide distribution
SORTIE LE 9 octobre 2024