Les glaciers, ces masses de mémoires glacées, se déplacent inévitablement vers le bas. Un mouvement perpétuel qui rappelle celui des relations humaines, déformées par les péripéties de la vie. Avec Les Huit montagnes, le couple de cinéastes Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch adaptent le roman éponyme de Paolo Cognetti, entre émerveillement et désillusion. Une œuvre où la montagne, puissante et magnifique, soude une amitié indéfectible, par-delà le temps. Un film sur la liberté, contraint par un format et un récit qui manque étrangement de hauteur. Comme un manque d’altitude.
Dans le Val d’Aoste, une région montagneuse de l’Italie, le jeune Piétro rencontre Bruno, le dernier enfant à vivre dans un petit village oublié de tous. En l’espace de quelques décennies, la vie s’est arrêtée dans ce qui ressemble aujourd’hui à un hameau : en l’absence de magasin, de bar, de jeunesse, le tissu social s’est progressivement déchiré. La rencontre entre les deux jeunes garçons était inévitable. Contrairement à Bruno, Piétro connaît la ville, son euphorie, ses excès. Malgré la beauté des Alpes, l’appel de la ville est fort pour le jeune citadin. Bruno, déjà montagnard dans l’âme, observe depuis les cimes le monde qui l’entoure : c’est son royaume. La pierre se fend, le temps passe, chacun à son altitude. Lorsque le père de Piétro, resté secrètement proche de Bruno, décède, l’amitié restée en suspens réapparaît. Ensemble, ils vont tâcher de réaliser le rêve du père de Piétro, la rénovation d’une maison de montagne.
Au détour d’un plan impressionnant, la caméra recule lentement pour faire apparaître l’ampleur du décor et la minutie de la maison des deux amis, conjuguant l’intime et le monumental.
Histoire romanesque d’une amitié au long cours, Les Huit montagnes tend vers l’universel. De l’ilot de l’enfance à la vie adulte, la randonnée peut donner le vertige. Un chemin sans retour, où cette première montagne gravie n’est plus qu’un souvenir lointain, teinté d’une mélancolie profonde et de regrets douloureux. Ce moment surplombe tout le reste. Comme dans d’autres œuvres de Felix Van Groeningen, on retrouve le rapport aux pères, la difficulté de trouver sa place, le difficile chemin de la maturité. Une crise existentielle avec comme boussole les sommets et leurs aspérités, comme des évocations de la vie. Dans le film, tout est quelque part question de nature, dans son sens multiple.
Dommage toutefois que le cadre imposé par les cinéastes limite cet accès à la montagne. En optant pour un format carré, le film fait l’étrange choix de contraindre la grandeur. Au détour d’un plan impressionnant, la caméra recule lentement pour faire apparaître l’ampleur du décor et la minutie de la maison des deux amis, conjuguant l’intime et le monumental. Une pertinente caractérisation de la montagne qui, malheureusement, ne survit pas à ce plan. On ne peut néanmoins retirer au film la beauté de ses plans et de ses décors naturels. Un pas de côté donc pour les sommets, au profit d’une confortable « bromance », sensible et touchante, mais certainement plus forte et évocatrice à l’écrit. Un entre-deux inconsistant.
RÉALISATEUR : Charlotte Vandermeersch, Felix Van Groeningen NATIONALITÉ : Italie, Belgique, France AVEC : Luca Marinelli, Alessandro Borghi, Filippo Timi GENRE : Drame DURÉE : 2h27 DISTRIBUTEUR : Pyramide Distribution SORTIE LE 21 décembre 2022