Premier long-métrage de la réalisatrice turque Azra Deniz Okyay, Les Fantômes d’Istanbul a obtenu le Grand Prix de la Semaine internationale de la critique lors de l’édition 2020 de la Mostra de Venise, une distinction non justifiée tant l’absence béante de qualités provoque l’effondrement d’un film déjà sans véritable structure.
Dans une ville d’Istanbul en proie à des troubles, activisme politique et activités illégales plongent la population dans une atmosphère précaire.
Avec un style documentaire, la cinéaste novice souhaitait sans doute élaborer des portraits représentant cette Turquie, mais elle construit finalement une œuvre sans objectifs ni fondements, dans laquelle plusieurs parcours se croisent et s’entremêlent, avec un manque de cohérence.
Quel était le propos initial de Azra Deniz Okyay? Que voulait-elle exprimer avec ces trajectoires de vie dans un pays dirigé d’une poigne de fer ? Une jeune fille désœuvrée en recherche d’avenir, des constructeurs de logements bâtissant des immeubles flambant neufs dans un paysage détruit, des marchands de sommeil dormant sur un tapis de lires profitant de Syriens exilés voulant obtenir de quoi se loger, une mère recherchant de l’argent pour son fils détenu, sans explication ? Tous ces sujets sociétaux s’entrechoquent, mais à la manière d’un puzzle informe dont on éprouve la plus grande difficulté à en rassembler toutes les pièces. De ce fait, tout s’écroule rapidement, à force d’en saisir ni les enjeux ni les éventuels liens connectant ces thèmes. La réalisatrice nous raconte une histoire indigeste, incompréhensible, nous perd dans un épais brouillard de confusion tant elle s’évertue à mélanger ces problématiques sans que l’on en comprenne les tenants et les aboutissants. Son scenario expose le récit d’une ville turque sous surveillance policière, privée de courant et dans laquelle nous vivons le quotidien d’une jeune fille passionnée de danse, dans un climat instable qu’aucun élément du film ne permet d’expliquer. Entre crise du logement et possiblement un état d’urgence, Les Fantômes d’Istanbul ressemble à un patchwork déstructuré, et donc difficile à comprendre. On suppose des choses, une situation sociale probablement tendue, cependant Azra Deniz Okyay cultive trop le mystère autour de cette tension, en omettant des détails précieux concernant la mise en place de ce contexte. Avec de faméliques indices et l’absence de points de repères essentiels, l’écriture repose ainsi sur des bases fragiles qui, à défaut d’une argumentation concrète, s’effondrent, en laissant cette impression de regarder une œuvre réellement insuffisante, même bâclée. N’est pas Guillermo Arriaga qui veut, ce schéma d’itinéraires croisés plombent l’ensemble, en plus de ces inutiles allers-retours entre le passé et le présent, qui finissent d’achever ce film bizarrement construit, que nous traversons tels des fantômes.
Dépeindre une société doit s’accompagner d’un regard lucide sur les problèmes, comme l’a fait Emad Aleebrahim Dehkordi avec Chevalier noir. Les Fantômes d’Istanbul aurait pu choisir la même construction. Cependant, la réalisatrice nous laisse constamment dans des suppositions, Pire, elle décrit une actualité turque, sans éclaircissement.
Drogue, attaque terroriste, démolitions d’immeubles… que se passe t-il dans cette ville ? Le film n’offre aucune réponse, navigue dans un flou complet du début jusqu’à la fin, en plus d’aborder le sujet d’une jeunesse révoltée contre l’homophobie et les violences faites aux femmes, thèmes intéressants mais n’ayant strictement rien à voir avec l’instabilité ambiante, l’exil et les loyers élevés. La vie de la jeune Ela, danseuse, propose au moins une trame un peu captivante. C’est bien ce qui est le mieux dans ce film, qui semble vainement expliciter les rapports sociaux et politiques, dans une Turquie gouvernée par Recep Tayyip Erdoğan où les droits des femmes sont bafoués, où l’homosexualité est interdite. Azra Deniz Okyay en parle, livre peut-être une critique de ce régime, mais qui se révèle faible, peu provocante, donc inoffensive. Trop timoré et déstabilisé par sa conception hasardeuse, Les Fantômes d’Istanbul se transforme en piètre description d’un pays tourmenté, comprenant d’évidentes lacunes dans sa mise en scène et son élaboration, d’une faiblesse criante dans son propos qui se voulait certainement corrosif mais qui ne veut pas (ou ne peut pas) trop critiquer et prendre des risques. L’œuvre possède une étrange légèreté qui n’ébranle pas le système, ni ne remet en cause ouvertement la politique. Alors que le cinéma iranien ose et s’oppose, ce film est bien trop gentil pour provoquer quoi que ce soit.
RÉALISATEUR : Azra Deniz Okyay NATIONALITÉ : Turquie/Qatar/France GENRE : Drame AVEC : Dilayda Güneş, Beril Kayar, Nalan Kuruçim DURÉE : 1 h 30 DISTRIBUTEUR : La Vingt-Cinquième Heure SORTIE LE 23 août 2023