Un été avec Pialat. Rétrospective actuellement sur Arte.tv.
Confession, je serais bien incapable de vous dire dans quelle mesure ni de quelle façon j’aime le cinéma de Pialat. Je veux dire, ses films génèrent chez moi pendant le visionnage une sorte de malaise, enfin malaise, le mot est fort, en tous cas il y a des trucs en M, macho miso mytho maso. Cependant après coup je me demande ce que j’ai vraiment vu, et me reste une sensation de mystère. Les films sont impressionnants au sens propre, c’est-à-dire qu’il y a quelque chose qui résiste à l’analyse, au jugement, et qui s’installe durablement dans la mémoire.
1. Nous ne vieillirons pas ensemble (1972).
Autoportrait en sale type, ou bien, florilège d’engueulades derrière le pare-brise d’une R16. On se pose la question, Pialat était-il comme ça, mieux ou pire, y a-t-il une forme de complaisance dans la deuxième moitié, quand le personnage au caquet rabattu devient presque touchant ? En ce qui me concerne, comme Jean Yanne, qui paraît-il n’en pouvait plus de l’affreux bonhomme qu’il devait jouer, aucune compassion pour lui, ce qui ne rend pas le film facile à aimer. Heureusement, Marlène Jobert irradie et — c’est ce que fait le film lui-même d’ailleurs — on ne se souvient que d’elle à la fin. Fructueux échos avec la Maman et la Putain d’Eustache, rabattage de caquet du fouleur de couvre-lits tout autant.
2. La Gueule ouverte (1974).
Dégainons le poncif Cocteau et parlons avec cuistrerie mais à-propos de mort au travail. Je me suis fait la réflexion suivante lors de la deuxième séquence — mère et fils déjeunent, souvenirs, silences, air de Cosi fan tutte —, que Pialat avait beau être l’ennemi des conventions, il en a fabriqué plein, qui ont depuis infusé dans le cinéma. Ainsi la fin de ladite séquence est-elle tout ce qu’il y a de téléphonée, en tous cas je voyais gros comme une maison la maladie venir se rappeler au bon souvenir du spectateur, et ça n’a pas raté, la mère fait une chute juste avant le cut. Mais qu’importent mes intuitions à la gomme, mentionnons surtout deux autres séquences, râles terrifiants de la mourante dans la chambre au papier peint fleuri, puis travelling terrifiant à l’angle de l’église. C’est quand le cinéma de Pialat se teinte de fantastique qu’il me plaît le plus, voilà peut-être la raison pour laquelle Sous le soleil de Satan a ma préférence.
3. L’Enfance nue (1968).
Quatre Cents Coups remake. De même que les comparaisons du 2 avec Cris et Chuchotements que j’ai pu lire, celles avec le Truffaut ici me semblent inopérantes. Plus radical ? Bof, ça veut dire quoi, d’abord. Ce qu’il y a peut-être, par rapport à ce qui se passe avec Doinel, c’est un héros plus distant, moins aimable — héros qui se fait d’ailleurs voler plus d’une fois la vedette par les inénarrables vieux qui l’accueillent.
4. Passe ton bac d’abord (1978).
Portrait de groupe, ou bien, teen movie façon Pialat. Ce n’est pas celui que j’ai préféré, peut-être me faudra-t-il le revoir pour en mieux saisir les secrets. Par exemple, j’ai trouvé étrange et dommage que la jeune fille brune qui illumine tout le début disparaisse ensuite purement et simplement. À part ça, il y a un gag burlesque que j’ai trouvé un peu nul, quand l’espèce de vieux dégueulasse hypnotisé par le derrière d’une cliente du supermarché se met à pousser le fauteuil d’une paralytique au lieu de son caddie. Au fond, je repense au terrible dialogue mère-fille ’’à quoi tu rêves / à rien’’ conclusif et, à l’aune du gag du fauteuil, je me dis que je trouve ça un peu lourd. Ce qui est une habile transition avec le film suivant, pour peu que vous en remémoriez une certaine réplique.
5. Le Garçu (1995).
Last Pialat, sorte de remake du 1, avec des échos du 2 et du 3 (quoique le gamin soit beaucoup plus jeune, ce qui change tout puisqu’il ne joue pas, ou plutôt si, il ne fait que ça, jouer, enfin bref c’est compliqué). L’impureté de la chose fascine. On est agacé par le geste de Pialat, père gaga devant les facéties de son rejeton, ainsi que par Depardieu qui fait du Depardieu, avant de rendre les armes car l’agacement ne résiste pas à l’émotion qui survient toujours. C‘est parfois gai, c’est surtout triste. Le caractère en apparence impromptu des séquences fait que la rigueur formelle de la chose ne saute pas aux yeux, mais cette rigueur finit par se révéler dans le souvenir, y compris dans les détails de la dramaturgie. Un exemple parmi d’autres, le coup de téléphone, cause de la rupture entre Gérard et Sophie à l’île Maurice (’’t’es lourd’’), résonne avec le reproche que fait plus tard Jeannot à Sophie, qui ne lui a pas donné de nouvelles tout le temps qu’elle était partie pour les obsèques du personnage éponyme.
Étonnante bande-son, Bob Marley, Björk, Corona, ça a dû coûter bonbon. Et puisqu’on est au rayon sucreries, concluons par une mention spéciale au sujet de la scène dite des tartines, Rocheteau vs. Depardieu et Pailhas sur la chaise d’arbitre, une des plus belles du cinoche de Pialat.