Les Chroniques de Poulet Pou : Toute la beauté et le sang versé, Goutte d’or, Esterno notte, A pas aveugles, Le Retour des hirondelles

1. Toute la beauté et le sang versé (Poitras, 2023).

Une vie — celle de Nan Goldin, plus incroyable que tous les romans, mise en scène par elle-même. Bouleversants échos entre tragédie familiale, élégie aux amis emportés par le sida, et lutte collective contre la dynastie Sackler, responsable de l’actuelle crise meurtrière des opioïdes aux USA. Le tout sublimé par de copieux extraits d’une vie de travail photographique, ainsi que la parole de l’artiste, directe et puissante. Clou du spectacle — ah les Américains, ou l’art de tout transformer en show, ici sans pudeur, mais sans jamais se perdre dans l’ignominie, bien au contraire —, la séquence aussi inattendue qu’hallucinante avec les parents, tout droit sortis de Twin Peaks. Droll thing life is, comme dit l’autre, et puisqu’on en parle, je défie quiconque de ne pas se mettre à pleurer comme une madeleine pur beurre quand se fait entendre la phrase de Conrad. C’est sorti cette semaine au cinoche, courez-y pour voir, de toute façon même si vous avez un cœur de pierre c’est top.

2. Goutte d’or (Cogitore, 2023).

I see dead people, qu’il dit. J’y allais à reculons, la faute à certaines critiques qui me paraissent après coup injustes. Malgré son ancrage dans ’’le réel’’ — cette expression a-t-elle un sens, au fond pour moi ça signifie surtout que les acteurs sont super —, il ne me semble pas que le vérisme soit un enjeu crucial du film, qui a la malice de faire endosser à son personnage escroc ses éventuels défauts. Je dis éventuels, il y a une fausse fragilité dans le récit, qui joue avec la crainte que ça finisse par se casser la figure, mais tout tient. Je dirais même plus, j’ai été captivé du début à la fin, grâce à une mise en scène — en particulier, le montage — qui épouse la désorientation du héros tout en restant limpide. Ce qui fait que la citation de Shakespeare, — L’enfer est vide, etc. —, que les grincheux pourront trouver un brin pédante, évoque par association cette autre, à base d’étoffe dont les rêves sont faits. Coucou Lynch, bis, mais sans ostentation — c’est qu’il est partout dans le cinéma. Ce n’est pas moi, c’est Spielberg qui le dit.

3. Esterno notte (Bellocchio, 2023).

Divergence d’opinion, suite. La critique est dithyrambique, et j’hésite un peu à m’exprimer car je n’ai pas tout regardé — les 6 épisodes sont en replay sur Arte.tv. Cependant, petit a, je ne suis pas le plus acquis des fans de Bellocchio — aucun souvenir de Buongiorno, notte, sur le même thème, vu il y a 20 ans, mais plus récemment, Le Traître ne m’avait pas emballé. Petit b, au bout de deux épisodes, je ne suis vraiment pas convaincu — n’hésitez pas à me dire si ça vaut le coup d’insister, mais je vous avoue que là, je n’ai pas très envie. La musique inutile m’embête, je trouve la photo aussi sur-léchée que sinistre, les acteurs tirent des tronches pas possibles de constipés chroniques, bref tout pèse des tonnes — on me rétorquera que c’est raccord avec le thème Années de plomb. Certes. Mais pour tout dire et conclure, la séquence d’introduction, qui évoque plus les uchronies façon Tarantino que les univers onirico-parallèles de Lynch, m’a indisposé plutôt qu’interrogé.

4. À pas aveugles (Cognet, 2023).

Enquête sur les photographies clandestines prises dans les camps nazis. Je n’ai pas été convaincu sur le moment, au point que je me suis demandé si le documentaire était le médium adapté (Christophe Cognet a également publié un livre sur le sujet), mais en y réfléchissant un peu plus, je me demande si ce qui m’a semblé être, comment dire, l’impensé du film — le réalisateur en gants blancs, à la limite du ridicule, qui se met en scène arpentant les lieux, et posant des questions qu’on peut parfois trouver oiseuses — n’est pas en réalité la seule manière correcte de contextualiser et montrer les terribles images. Actuellement au cinéma.

5. Le Retour des hirondelles (Li, 2023).

L’Angélus. Cette attendrissante bluette entre deux humbles, exploités jusqu’au trognon par d’odieux magouilleurs, m’a plus barbé qu’ému. La critique est excellente, la (petite) salle du Louxor où je me suis rendu était comble (troisième âge représente). Cependant même si j’ai apprécié la description du travail de la terre (outre l’iconique tableau de Millet, on pense à L’Arbre aux sabots), j’ai été incommodé par une certaine pesanteur dans la mise en scène des injustices qui s’abattent sur les héros sans reproche — le coup des transfusions, ce n’est vraiment pas fin —, ainsi qu’un relatif sentiment de chiqué. L’actrice fait un peu un numéro à la Dustin Hoffman dans Rain Man — son partenaire s’en sort mieux. Avant d’interdire pour de bon le film en Chine, les censeurs contraignirent le réalisateur Li Ruijun à en modifier la fin. Ce qui ne change pas grand-chose, le message édifiant est suffisamment appuyé pour être reçu 5 sur 5.