Autant annoncer la couleur tout de suite, je ne suis pas le plus acharné des amateurs du Nobel — anciennement, Barde — de Duluth. Trop tradi dans la musique, trop de nez dans le chant, mes chouchous folk sont plus british, pensez Nick Drake et Richard Thompson, et s’il faut choisir un rockeur légendaire de la Big Apple, c’est Lou Reed sans hésiter une seconde. Et quand bien même le film m’aurait-il donné envie de ressortir de leur tiroir les classiques sixties de Dylan, vu la quantité industrielle de lives d’Autechre — ils sont déments, écoutez-les — que j’ai sur le feu, ça ne va pas être pour tout de suite. Ceci étant posé, le film est pas mal dans le genre, dans le sens où il évite easy toute pompe, et tente de se concentrer sur la musique plutôt que la vie privée. Je dis tente, car malgré les bonnes intentions affichées, c’est toujours pareil, au cinoche pas question d’entendre un morceau dans son entièreté. Prenez une des scènes les plus marquantes du Pianiste de Polanski, le héros joue la première Ballade de Chopin à l’officier allemand qui a découvert sa cachette, mais on n’entend que l’introduction et la coda, tout le développement a été édité pour que ça ne dure pas trop longtemps. Same here, on a le droit au début ou à la fin des chansons, parfois les deux, mais il manque souvent un bout au milieu.
Mettons que c’est dommage mais que c’est comme ça et passons en revue le reste, voulez-vous. Les acteurs sont bien, Chalamet est plus que convaincant, le dosage de nez dans le chant parfait, et Elle Fanning la nouvelle Nicole Kidman, maybe. La mise en scène est soignée, on remarque de jolies transitions, gestes et attitudes qui se répondent d’une scène à l’autre, et les chansons sont utilisées avec intelligence dans le récit en fonction de leur sens — cf. It Ain’t Me, Babe, chanson de rupture interprétée en duo avec la célèbre ancienne girlfriend Joan Baez, alors que Suze Rotolo, renommée ici Sylvie Russo, elle aussi larguée par son amant, écoute la larme à l’œil. Autre moment inspiré que je retiens, l’amusante scène où Johnny Cash ’’libère’’ la moto de Dylan en déplaçant tant bien que mal son véhicule mal garé, comme il lui a par ailleurs montré la voie pour se libérer du carcan folk acoustique avec son groupe électrique. M’a semblé moins inspiré le systématisme — j’ai déjà parlé du plan sur Rotolo pleurant — qui consiste à montrer ceux qui observent Dylan. On est en train de regarder des gens qui regardent l’idole, qui pendant ce temps échappe toujours à leur regard, on comprend l’idée mais on se dit aussi un peu, Bob. Je veux dire, Mangold montre le regard, l’âne regarde le doigt, et Bob dit l’âne.