Encore un Dardenne. On ressent dans les gazettes comme une lassitude concernant le cinoche des chouchous de Cannes. C’est toujours pareil, mais de moins en moins bien, car de plus en plus décharné, entend-on certains se plaindre — tandis que les deux frères semblent gagner de plus en plus de prix, ainsi que de pognon, à dénoncer la misère du monde. Le ciné social cher à Vincent Lindon m’indiffère peut-être, mais je suis fan de Hong Sang-soo, alors je ne crains pas grand-chose dans le registre du toujours pareil, et je dirais même plus, j’aime ça, retrouver d’un film à l’autre ce que les mauvaises langues appellent ’’petite musique’’. Pourquoi petite, d’abord ? Comme HSS, les Dardenne sont concis, mais petite durée ne veut pas dire petit film, et loin d’être décharnée, leur épure se débarrasse façon Ford de tout superflu.
Tori et Lokita serait une sorte de double auto-remake, pensez Silence de Lorna + Gamin au vélo. Même flirt avec le polar, même observation minutieuse des gestes. Au fond, les films des Dardenne sont avant tout des films d’action — au même titre que ceux de leur maître Bresson —, où la précision des mouvements et le sens du détail tiennent en haleine le spectateur mieux que ne le saurait un vulgaire block hollywoodien. On apprend par exemple ici comment se cacher dans une voiture, pour se rendre sans être vu à un hangar de banlieue aussi sinistre que mystérieux, entrer dans ledit hangar bouclé à double tour, trouver son chemin une fois à l’intérieur, et retourner en ville sans se faire prendre. Tout ça ne fonctionnerait pas si — comme chez le psychorigide de Bromont-Lamothe — les comédiens n’étaient aussi beaux que parfaitement dirigés. Quel spectateur sans cœur ne voudrait aimer ce jeune garçon et sa fausse grande sœur, regardés l’un comme l’autre avec autant d’attention que de délicatesse ? Bref, c’est super, rien ne change jamais, ou presque. Car ce qui change, c’est la fin, d’un tragique total, qui contredit l’habituelle nuance de catholicisme espérant qui teinte le cinéma du binôme bipalmé.