Apocalypse later. Impossible de ne pas penser au classique conradien de Coppola. Ici l’errance ne suit pas le cours d’un fleuve, mais tourne en rond à Tahiti, ‘’d’un point A à un point A’’, ou ‘’en spirale descendante’’, comme l’explicitent les dialogues. Ce serait Apocalypse Now sans explosions ni odeur de napalm au petit matin, quoique plane sur le film la menace de bien pire. Ce serait Apocalypse Now lors de la séquence dite de la plantation française — séquence bizarre avec Aurore Clément, visible dans la version dite Redux —, c’est-à-dire en quelque sorte le cinoche de Marguerite Duras faisant irruption dans celui de FFC. Magimel est du reste aussi magnétique que Michael Lonsdale et Martin Sheen réunis. Albert Serra aime et sait filmer l’acteur en majesté — on repense à Léaud et son biscotin trempé dans un verre de vin d’Alicante, dans l’incroyable Mort de Louis XIV.
J’espère que ces analogies sont parlantes, elles ont l’avantage de me faire gagner un peu de temps, car je sais bien qu’il va falloir à un moment donné que je vous dise ce que je pense du film. Or mon problème est que je ne sais pas trop. Ce qui est certain, c’est que c’est du début à la fin une splendeur plastique. Les plans sont si beaux, avec une qualité, disons, liquide, ou sensuelle, en tous cas, si particulière, qu’on a envie que ça ne s’arrête jamais. Cependant à la fin, j’avoue en avoir quand même eu un peu marre. Je crois qu’au fond, la désinvolture de Serra face à son récit m’a un peu frustré. Les personnages sont bien dessinés, le climat de complot généralisé est prenant, les touches d’humour inattendu amusent, et constamment le rythme du film surprend, qui ose des raccords étranges, où le temps et l’espace semblent avoir été subtilement modifiés. Mais qu’est-ce que c’est que ce soi-disant amiral en goguette au nightclub, flanqué d’une escouade de marins façon Genet. Amiral, mais galonné comme un capitaine de vaisseau, avec par-dessus le marché ses galons cousus à l’envers sur son épaulette gauche. Pour les not-in-the-know, amiral = deux étoiles ou plus, capitaine de vaisseau = cinq bandes parallèles, disposées en un groupe de 3 + un de 2. Mon père était dans la Marine nationale, let it be known. Tout ceci n’est pas vraiment sérieux, le ciné parano des 70s n’a plus cours, semble nous dire Serra, et il est possible d’entendre l’intitulé du film dans ce sens.
Dans ce vestige de fiction, Magimel en costard blanc impeccable en toutes circonstances ne serait pas un véritable haut-commissaire de la République, mais rien qu’un clown triste dans un faux décor. Tout se passe comme si, après qu’il l’a mis dans la disposition de vouloir y croire, le film se jouait du désir du spectateur. Esthétique de la déception — y compris, voire surtout, au sens vieilli (et aussi anglais) du terme.