Rashomômes. Enfin, pas exactement, car au contraire du classique de Kurosawa, ou du kloug metoo-médiéval de Ridley Scott qui s’en inspire plus que probablement*, le film ne donne pas d’abord la parole aux fripouilles pour laisser ensuite éclater la Vérité toute nue, mais confronte les points de vue partiels de héros à la foi aussi bonne que la volonté. Petit a, la mère, petit b, le prof, petit c, le gamin. Attention, je risque de spoiler dans la suite de mon blabla, soyez prévenus. Apprenez tout d’abord que les derniers Kore-eda que j’ai pu voir — surtout le pénible Third Murder, au fond — m’avaient donné une impression telle que je m’étais permis de le mettre dans la même case moraliste-relou-et-manipulateur que le fastidieux Farhadi, quoique en plus mièvre. Pour ceux qui se récrient, il y a une autre raison de faire le rapprochement, visez les titres de leurs films, Nobody Knows, et puis en fait non, Everybody Knows, mettez-vous d’accord bon sang. Enfin bref, il a fallu que je prenne énormément sur moi pour accéder à la prière de la personne chère à mon cœur, qui dut un peu beaucoup insister pour que je daigne l’accompagner à la séance. Or bien lui en a pris, car j’ai bien grogné avant, mais suis sorti plutôt content.
Cette histoire de points de vue est fabriquée avec beaucoup de métier même si justement, ça fait un peu fabriqué. Par exemple, il y a un incendie au départ, pour que le spectateur comprenne sans que le film ait besoin d’en faire beaucoup à quel moment ça recommence en changeant de personnage. C’est fluide et c’est bien, mais d’autre part l’aspect manipulateur que je mentionnais est là, détails du bonbon mangé au moment le plus mal choisi, ou des réflexions désobligeantes du prof sur les mères célibataires, qui le font passer un peu trop facilement pour un sale type, alors qu’on verra par la suite que non. Car allons-y spoilons, petit a, la mère croit que le prof malmène son enfant, petit b, le prof croit que son élève malmène son camarade, petit c, la vraie histoire du gosse et de son camarade sera enfin révélée. Rien qu’en voyant l’affiche, on devine un peu de quoi il retourne, et il n’est pas interdit de se dire, tout ça pour ça, ni, c’est quand même du cinoche à papa. Malgré tout, restent en tête certaines images, comme celle de quelqu’un qui essaie, de toutes ses forces mais en vain, d’effacer quelque chose, un élève de mystérieuses traces sur son bureau, la directrice — personnage marquant — des résidus de chewing-gum sur le carrelage de l’entrée de l’école. Restent aussi certaines impressions dont je me suis demandé si c’était de l’humour un peu douteux, du genre, les femmes ne savent pas conduire, surtout en marche arrière.
Cependant — et à mon sens le titre français est bien choisi, car il insiste plus sur ça, alors que l’intitulé international Monster appuie lui sur, Attention, nous allons dénoncer la rigidité de la société japonaise qui est, tintintin, le vrai monstre de cette histoire —, ce qui m’a surtout plu, ce sont les gosses, leurs jeux, leur joie de vivre et leur grâce lumineuse que le film observe à la bonne distance. C’est sentimental, mais comme la belle musique de Ryūichi Sakamoto — dernière avant le décès — qui orne la bande-son, on reste sur le fil, sans tomber dans le sirupeux.