Je ne sais pas bien quoi en penser, ni en dire. Résumé des tendances critiques que j’ai pu lire dans les gazettes et sur les réseaux sociaux — il me semble qu’il y en a trois principales. Un, commentaires plus ou moins convenus sur la ’’banalité du mal’’. Or les Höss sont-ils si banals. L’épouse qui malmène ses domestiques est remplie de haine, et le commandant, loin d’être un bon père de famille obéissant aux ordres, un simple gestionnaire de la mort, voire un ambitieux qui cherche à briller en dépassant les objectifs de rendement, est une brute sanguinaire, qu’on entend hors champ faire noyer un prisonnier qui a volé une pomme. À ce titre, l’unique gros plan du film, le seul peut-être depuis l’intérieur du camp, qui montre son visage de profil se diluer dans un fondu au blanc, est décisif. Deux, analogies plus ou moins douteuses avec l’ultralibéralisme, et le mode de vie, oublieux des souffrances d’autrui, des Occidentaux nantis que nous sommes. Bien sûr, il y a des résonances, mais cette réduction n’est-elle pas en réalité obscène, et tout ce qu’il y a d’injurieuse pour la mémoire de six millions de morts. D’ailleurs, à aucun moment le film n’opère cette mise en rapport — on reste à Auschwitz, que ce soit alors, ou désormais. Et puisqu’on parle de ce fameux raccord temporel, il est saisissant, mais je me suis posé la question de la pertinence de revenir une dernière fois à Höss — il est vrai pour le voir disparaître dans l’obscurité d’un interminable escalier —, Höss dont les soudaines nausées m’ont paru malsonnantes. Pourquoi donner au monstre ce qui peut s’interpréter comme une prise de conscience de sa monstruosité.
Mais revenons aux tendances critiques, trois, considérations sur le formalisme du film. Formalisme conscient des enjeux esthético-éthiques bien connus — quoique peut-être surtout franco-français, Rivette et Lanzmann n’ayant jamais empêché les Américains de réaliser des films plus ou moins controversés*, parfois inédits chez nous, où l’on peut voir les cadavres sortis des chambres à gaz** —, formalisme peut-être nécessaire pour traiter le sujet, formalisme dont la puissance, à moins que ce soit la pesanteur, évoquerait ici une ’’installation d’art contemporain’’. L’expression entre guillemets fait terriblement cliché, mais on voit ce que ça veut dire. Est-ce un défaut, une qualité, on se demande. Ainsi, les images en négatif — tournées à la caméra thermique, paraît-il — de la petite Polonaise, qui vient nuitamment aux abords du camp cacher de la nourriture pour les prisonniers, constituent réellement le Bien, négatif du Mal qui englobe la vie domestique des Höss montrée façon télé-réalité. Pourtant ces pommes seront peut-être hélas fatales, cf. paragraphe précédent.
Cependant le plus important, et je vous avoue l’avoir lu presque avec soulagement ici ou là, me semble que le film participe tout bêtement du ’’devoir de mémoire’’. Encore des guillemets autour d’une formule toute faite, mais ne faut-il pas dire encore et encore, alors que ça fera bientôt — et plus vite qu’on s’imagine — un siècle, et que tout se dilue comme dans un fondu cinéma dans le temps, que ça s’est passé. Des gens ont revêtu un uniforme noir et se sont organisés du mieux qu’ils pouvaient, en y mettant toute leur science et leur énergie, pour faire ça.