Privilège de l’âge, fruit de l’expérience vécue, la personne chère à mon cœur et l’humble serviteur que je me targue d’être pour elle, autant — plus, sorry about that, hope you’ll get over it — que pour vous, avons choisi de n’habiter pas sous le même toit. Si je vous raconte ça, c’est pour vous expliquer la raison pour laquelle ladite chère personne regarde parfois des séries, la plupart du temps sur Arte, alors que moi, non, jamais. Je préfère bosser mon Chopin, ou écouter Autechre tout seul dans le noir comme le sociopathe que je suis — mais d’une, je me soigne, de deux, c’est super Autechre, hein. En concert le 6 avril au Trianon, be there or be square (pusher). Enfin bref, ne nous égarons pas, revenons à la personne chère à mon cœur. Parfois, quand j’ai réussi à ne pas faire trop de fausses notes dans la page de Chopin avec laquelle j’ai eu la témérité de prétendre en découdre, et que nous nous retrouvons enfin, j’ai droit à un résumé desdites séries, la plupart du temps assorti de la constatation que ça ne valait pas forcément la peine d’être vu — ce qui me permet de me féliciter à vil prix d’avoir eu le soi-disant bon goût de ne pas les regarder. Et puis, elle m’a parlé de celle de Judith Godrèche, et l’actualité aidant, j’ai fini par y jeter un œil, puis deux.
Je n’y connais pas grand-chose, mais je me dis que la série est un format impur, qui autorise toutes les impuretés. Est-ce une manière de dire fuck off à un certain french cinema soi-disant de bon goût, prenons un exemple, si Godrèche a envie de délayer la conclusion d’un épisode avec une chanson live relou façon fin d’épisode de Twin Peaks 3, ou bien, en filmant sa fille danser devant les baies vitrées de Chaillot un peu longtemps, elle le fait. Résultat, d’un côté, ça manque de rythme et on a parfois envie de faire avance rapide, mais de l’autre, ça participe au charme de la chose, qui paraît sans prétention, et finit pourtant par distiller une poignante détresse — qui saisit le spectateur, même averti par l’actualité, par surprise. Car alors que la chanson live relou se fait entendre, Judith revit une scène d’ivresse de son adolescence. Le montage est fin, elle n’a pas besoin d’appuyer pour qu’on soit avec elle, dans sa tête et son désarroi, au présent et au passé. L’actrice qui la joue ado est super, il faut dire. Amusant de voir son naturel contraster avec l’espèce de fixité un peu effrayante qui semble constituer le naturel du visage de Judith adulte. Fixité qui fait bon ménage avec le burlesque constant de son personnage, façon Buster Keaton mais avec le sourire (figé) si vous voulez. Le duo fausse naïveté + vraie autodérision fait mouche, de même que le comique/sérieux, et les questions soulevées, sans jamais insister, presque comme en passant, nous préoccupent. N’en disons pas plus, j’ai été à la fois diverti et ému, I hope you will be too.