Je ne vous apprends rien, le film de serial-killer est un genre en soi, dont la matrice se nomme M le maudit et dont, en enfant des nineties, votre humble serviteur se flatte d’avoir fréquenté maints jalons fameux — au premier chef desquels, l’imputrescible Silence des agneaux. Je devais être en classe de seconde, première sortie au cinéma en compagnie d’une jeune fille, admirez le sens du choix. Ce n’était pas si malvenu, car ma cavalière en avait très vite profité pour me saisir la main afin de la broyer de frayeur, tandis que je tâchai de donner le change, enlaçant son épaule d’un bras voulu viril et rassurant. En réalité, je n’en menais pas plus large qu’elle. Avec l’âge, je suis devenu de moins en moins impressionnable, et ce n’est pas sans regret que je constate que j’ai désormais rarement peur au cinoche. Je crois que la dernière fois, c’était devant la conclusion du rêve (à l’intérieur du rêve) raconté par un quidam au diner, dans Mulholland Drive. Mais revenons à notre film.
Il est permis d’entendre dans Bowling Saturne des échos de M (roulements d’yeux du fils Mazuy en psychopathe — il est très bien), du Silence (cadavres bleuis et visages en gros plan, le tout façon études de Francis Bacon) et de Lost Highway (ambiances nocturnes, choix des couleurs, ici beaucoup de rouge). Tout cela impressionne, et il y a une scène — ‘’la’’ scène — d’une grande puissance. Mais je ne sais pas, j’ai été moins emporté que par La Nuit du 12, avec lequel le film a au moins deux points communs. Primo, une ambition et une ampleur qui se tournent vers l’Amérique. Secundo, un fond, disons, ‘’sociologique’’ — ce dernier pas forcément le meilleur aspect de l’un ni de l’autre, mais peu importe.
J’ai été moins emporté, résultat j’ai remarqué certaines choses. Par exemple, la musique, une sorte d’ambient-indus sinistre, est chouette, mais elle a un côté un peu caricatural, qui fait qu’on se demande si ça ne vieillira pas (comme la BO de Lost Highway). Caricatural, tel est aussi le club des chasseurs, lequel, je vous prie de m’excuser, m’a soudain fait penser au sketch des Inconnus. Grotesques, tels sont des détails pourtant super, comme l’arrachage de mauvaise herbe sur la tombe, ou la goulotte à gravats. Belle idée, mais devant laquelle je n’ai pu m’empêcher de me dire, Ça ne passera jamais, ça va rester coincé dedans. Que l’on daigne me pardonner ces enfantillages.
Ces touches grotesques sont du reste peut-être voulues, ce qui rappelle à mon souvenir les récentes Nuits de Mashhad. Et je me demande si au fond, malgré les qualités plastiques supérieures du Mazuy, je n’ai pas préféré le film pseudo-perse, qui m’a paru plus cohérent. Vous savez qu’un débat — synthétisé avec beaucoup de drôlerie par Nanni Moretti dans la scène dite ‘’Henry’’ de Journal intime — agite périodiquement les cinéphiles au sujet de la représentation de la violence. Pourquoi Mashhad serait-il immonde, tandis que Saturne regarderait à la bonne distance ? Je crois que le regard est aussi celui du spectateur. Peut-être suis-devenu blasé/blindé, mais toujours est-il que j’ai du mal à voir une différence.
Deux réflexions pour conclure. Je vous parlais trois paragraphes plus haut de la qualité de l’interprétation d’Achille Reggiani (portrait craché de son grand-père, j’ai trouvé), son frère à l’écran Arieh Worthalter n’est pas en reste, avec son visage à la beauté presque obscène, qui ressemble à celui de Timothy Dalton (nineties, ou plutôt eighties forever). Et puisqu’on est au chapitre familial, le titre et le thème du film ne peuvent qu’évoquer la célèbre peinture de Goya, et on se demande si faire jouer à son propre fils un tel rôle ne constitue pas également, de la part de Patricia Mazuy, une sorte d’acte de dévoration.