Les Chroniques de Poulet Pou : nouvelles réflexions sur La Zone d’Intérêt

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ttention, titre réducteur voire mensonger. Ce n’est pas exactement le nouveau Glazer qui me préoccupe — bien grand mot, cependant il se trouve que des questions plus ou moins confuses se posent à l’intérieur de ma petite cervelle, moquez-vous mais pas trop. C’est plutôt ce qui en découle, c’est-à-dire les quelques films sur le sujet qu’il m’a donné envie de voir (ou revoir), à la lumière du dogme rivetto-lanzmannien bien connu. Je dis bien, dogme, car OK je tiens l’œuvre de l’un comme celle de l’autre pour de très grandes choses, mais suis plus méfiant en ce qui concerne leurs positions polémico-critiques. Je veux dire — constatation somme toute rassurante —, il arrive à tout le monde y compris aux plus brillants de dire des bêtises. Oui, hein. Allons-y donc, argument en faveur de ma méfiance, je considère La Liste de Schindler comme une grande réussite.

Contre-argument, La Vie est belle non, mais la raison me semble être, plutôt que des questions d’irreprésentabilité, l’espèce de dépréciation de l’Histoire, prétexte à mise en scène de l’ego de son auteur, qu’opère le film. Peut-on reprocher la même chose, sous d’autres couleurs, au Fils de Saul — pourtant défendu par Lanzmann, que tout cela est affreusement compliqué —, où l’on finit par ne plus rien voir d’autre que le dispositif de la mise en scène. À tout prendre, je me demande si n’est pas moins pire le théâtre hollywoodien maladroit et naïf — qui me paraît au fond relever de l’insignifiance, plutôt que de l’abjection — de The Grey Zone, jamais sorti en France et dont l’intrigue recoupe partiellement celle de Saul. Restons un instant à Hollywood, saute aux yeux la différence d’avec La Liste de Schindler, où il n’y a aucune naïveté, mais au contraire une réflexion constante sur quoi montrer, comment, et pourquoi — cf. la fameuse séquence de la douche, où ce qui reste en mémoire est moins l’allégresse des femmes de Schindler quand l’eau se met à couler, que l’image des déportés qui n’ont pas leur chance, et sont conduits en colonne serrée dans une chambre à gaz souterraine.

Revenons aux dispositifs, c’est parfois très bien, cf. La Zone d’intérêt, film qui passe d’ailleurs son temps à aller à l’encontre des règles qu’il fait mine de s’être fixées, puisqu’on n’arrête pas de sortir de la villa des Höss, y compris pour accompagner une résistante polonaise. Je dis, très bien, du reste n’oublions pas non plus que tout cela, en plus d’être affreusement compliqué, est surtout parfaitement subjectif. Je dirais même plus, la réussite d’un dispositif ne se juge-t-elle pas à la capacité qu’il a à se faire oublier. Ce qui me fait penser, même si ça n’a rien à voir avec le sujet — c’est juste que je l’ai vu récemment —, aux Filles d’Olfa, où il me semble, d’une, employons un gros mot, que la vérité des personnes concernées n’aurait pu être révélée sans la complexité du dispositif mis en place autour d’elles. De deux, continuons avec le même gros mot, que cette vérité fait voler en éclats ledit dispositif. Pour revenir à notre sujet, dans Shoah, il y a aussi un dispositif, celui de la confrontation des lieux maintenant — c’est-à-dire, à l’époque du tournage — avec la parole mémorielle. Mais tout s’efface, ou plutôt tout converge, quand sur les images d’Auschwitz un hiver des années 70-80 se fait entendre la voix de Filip Müller. Douce, sans affect, elle prend son temps et choisit avec soin les mots qu’elle va prononcer. Et lorsque cette voix se brise, à l’évocation de l’hymne national tchèque entonné par les prisonniers sur le point d’être gazés, la détresse à jamais au présent de l’homme qui raconte est violemment communiquée au spectateur.