Si vous ne voulez pas être spoilé, ne lisez pas ce deuxième* blabla à propos du récent biopic sur le compositeur tchèque Josef Mysliveček (1737-1781), oublié de nos jours mais célébré, de son vivant, par le public italien — qui le surnommait Il Boemo, c’est plus facile à prononcer. Peu de choses semblent connues sur sa vie. Il existe la correspondance de Mozart père et fils, avec qui Mysliveček fut en relation — ce qui donne lieu pour moi à la meilleure scène, où, dans un bel ensemble, spectateur, personnage et film s’émerveillent du génie de Wolfgang encore enfant. Pour le reste, le réalisateur Petr Václav invente probablement beaucoup, faisant de son héros une sorte de Barry Lyndon de l’art lyrique, à savoir un homme ambitieux et égocentrique, qui s’élèvera dans le monde, entre autres grâce à la chance, et aux femmes. Avant de dégringoler, of course.
Parlons des femmes, Il Boemo en fréquente cinq au cours du film. 1, une jeune noble parmi ses élèves, qui est amoureuse de lui. 2, une marquise débauchée, qui l’introduit auprès d’importants intermédiaires. 3, une cantatrice célèbre. 4, une troisième aristo, mariée à un abominable tyran, et qui sera la seule personne pour qui le héros éprouvera du sentiment. 5, enfin, une jeune servante qui lui refilera la syphilis.
Symétrie du suicide féminin, l’une se rate à cause de ses vêtements qui l’empêchent, l’autre se réussit grâce à une légende urbaine d’époque — l’ingestion de poudre de diamants n’a jamais tué personne, mais on y croyait, au XVIIIe siècle. Non, je n’ai pas testé pour vérifier. Filez-moi quelques diamants, pour voir. M’ont du reste interpellé les scènes avec ce personnage, épisodes terribles qui constituent les seuls moments où le film n’épouse pas le point de vue du héros — est-ce pour signifier l’importance qu’a cette femme pour lui, peut-être. Mais ça occasionne un déséquilibre qui m’a fait tiquer — comme si le film voulait s’acheter une conscience féministe. Ce qu’il y a surtout, c’est que je n’ai pas été ému par cette histoire d’amour, qui ne cadre pas avec le personnage d’Il Boemo, de plus en plus opaque et blindé émotionnellement (et inexpressif, cf. illustration, eh) à mesure du récit — et surtout, mû par un unique désir, celui de réussir professionnellement.
Parlons des hommes. Deux personnages de puissants interviennent dans l’histoire. Il y a un mécène bienveillant, avec qui le héros a une relation qui peut faire penser à celle entre Ryan O’Neal et Patrick Magee dans Barry Lyndon. Et le roi de Naples, dont les apparitions jouent sur le décalage entre sa balourdise de façade, et sa capacité à soudain faire preuve de sensibilité. Là aussi j’ai tiqué, car d’une, j’ai trouvé le contraste convenu. De deux, l’espèce de déférence envers le pouvoir qui en résulte m’a incommodé — c’est peut-être idiot, mais je considère que la moindre des choses qu’un biopic sur un artiste puisse faire, c’est rendre minuscules par rapport à son héros les grands de son temps.
Il Boemo, lui, tout artiste qu’il est, exprime peu ses sentiments. Vous me direz, pour ça, il y a la musique. C’est vrai. Cependant celle-ci semble presque hors du film — les belles scènes où les chanteurs en action sont observés de près m’ont rappelé celles similaires dans Le Messie (William Klein, 1999) —, sauf que jusqu’à preuve du contraire, Barbara Ronchi n’est pas une vraie soprano, et fait donc (très bien) semblant. Il y a certains moments où le film tente d’intégrer les airs d’opéras à la narration — la cantatrice qui se fait prier pour chanter lors de la première, mais j’ai trouvé le suspense, à base de plans de coupe sur l’auditoire consterné puis conquis, aussi maladroit que factice. Le mec jamais content. J’attends les diamants.
Finissons, j’ai des scrupules à utiliser l’adjectif ’’académique’’, cependant je vous avoue que j’ai du mal à penser à un autre mot, dans le sens où le modèle Barry Lyndon est quand même ultra voyant. J’avais eu un peu la même impression avec le récent biopic de Konchalovsky sur Michel-Ange — où l’on pense à Herzog plutôt que Kubrick. Ce serait un académisme 2.0, comme si un biopic d’auteur moderne sur un grand artiste des siècles passés devait forcément avoir une vibe funèbre, tout droit sortie du cinoche seventies. Je n’ai pas revu Amadeus depuis longtemps, mais dans mon souvenir, une certaine fantaisie y faisait contrepoint à la morbidité ambiante. C’est peut-être uniquement dans ma tête — que mes élucubrations ne vous empêchent pas d’aller voir le film, il passe encore un peu.