Les Chroniques de Poulet Pou : Nope ou la vaine gloire de photographier

Non, ou la vaine gloire de photographier. Spoilers et bêtises ahead, lisez à vos risques et périls. Film bizarre, qui semble faire exprès des détours, et en tous cas dire non à l’efficacité, chose pas banale dans le paysage du blockbuster — en est-ce vraiment un. Cependant me revient à l’esprit la conversation nocturne des trois pêcheurs sur leur trop petit bateau, comme une digression gratuite, dans les Dents de la mer. J’ai aussi pensé au couple Eastwood (le frère taiseux) et Wallach (sa sœur insupportable). Quoi qu’il en soit, il est légitime de penser à autre chose, tant Peele semble plus intéressé par le jeu avec des références, le brassage de thématiques, que par le récit de son histoire de monstre. Le film se meut aussi nonchalamment que son héros, on a le temps de gamberger — certains diront s’ennuyer —, et on s’interroge quant aux motivations des personnages, dont les actions semblent parfois n’avoir d’autre but que celui de fabriquer une belle image, ou creuser un peu lourdement un motif. Ah, la vanité d’homo sapiens qui prétend dompter l’animal sauvage. Oh, la dépendance d’homo internetus aux images. Soit dit en passant, ça n’a rien à voir, mais m’a marqué la grande distance physique qui sépare le frère et la sœur. Est-ce parce qu’il y a beaucoup de place dans leur ranch qu’ils se tiennent constamment loin l’un de l’autre ? Ou y a-t-il autre chose ? On n’en saura rien, ils resteront des figures un peu abstraites, cf. la référence aux pantins de commedia dell’arte de Leone.

Après le visionnage, j’ai gardé en mémoire trois images, lesquelles peuvent synthétiser le côté un peu méta-bidon de la chose. Trois images, deux objets du cinéma, objectif et pellicule. D’une part un trou, prenez celui de la gueule polymorphe de la bestiole, celui du puits photographique, ceux des yeux des personnages (étrange plan où le réalisateur armé de son antique caméra cligne de l’œil si fort qu’on a l’impression qu’il est devenu borgne). D’autre part un ruban, prenez celui avec les petits drapeaux sur l’illustration, ceux de signalisation de la scène de crime qu’arrache la moto de l’héroïne, ceux des tentacules de la bête transformée — transformation gratuite mais jolie. Trou, ruban, vous savez compter, il manque une image. La voici, la troisième image, qui rassemble en quelque sorte en une seule les deux précédentes, celle d’un ballon plein d’air. Han, comme il persifle, vous écrierez-vous en votre for intérieur. Non pas que, vous avez vu le film, vous savez qu’un ballon plein d’air, ça a beau ne pas peser lourd, ça peut tout exploser.