Les Chroniques de Poulet Pou : florilège Fritz Lang, suite et fin. Le Secret derrière la porte. Cape et Poignard. Existe-t-il un Lang moyen?

1. Le Secret derrière la porte (Lang, 1948).

Mariage et conséquences. Lang moyen, qui marche de façon un peu trop voyante sur les plates-bandes d’Hitchcock — et en tous cas, ne vaut pas les fleurons simili Barbe-Bleue que sont Rebecca (Hitch, donc), Dragonwyck (Mank) ou Caught (de veau, non pardon d’Ophüls père). La voix off poético-hypnotique est pourtant cool — ’’I remember, long ago I read a book, it told the meaning of dreams’’ —, de même que l’expressionnisme flamboyant des lumières et décors. Mais la fin fait un peu beaucoup Freud pour les nuls. Quatrième et dernier des films de Lang starring la délicieuse Joan Bennett. Le mari creepy amateur de ’’felicitous rooms’’ (au moins aurons-nous appris un mot) est quant à lui interprété par Michael Redgrave, qui a un peu la même tronche molle que Guillaume Meurice. En plus flippant, c’est flippant.

2. Cape et Poignard (Lang, 1946).

Course à la bombe A. Pas le meilleur Fritz Lang, mais qui dit Lang moyen, dit qu’on peut quand même y savourer un certain nombre de séquences de dingo. Moyen, pourquoi, il y a le ton propagandiste après l’heure — les Américains ont déjà gagné la course, et la guerre. Il y a la BO aussi tonitruante que superfétatoire signée Max Steiner, qui ne figure pas parmi les plus grandes réussites du maestro, même s’il m’a semblé y entendre une citation du divin Château de Barbe-Bleue de Bartók. Et surtout, il y a le personnage principal, héros qu’il est permis d’avoir du mal à gober. Prenez un chercheur en physique nucléaire tripotant l’alambic en son laboratoire, qui gribouille des équations dès qu’il en a l’occasion et s’enflamme en discours édifiants sur la Science, capable de se transformer du jour au lendemain en redoutable agent secret. Mais bon, c’est Gary Cooper, alors ça passe. De même, l‘histoire d’amour avec la pulpeuse résistante italienne est tout ce qu’il y a d’improbable, cependant la scène où ils sont contraints de passer la nuit dans la même chambre évite sans peine de sombrer dans le ridicule, et je dirais même plus, réussit à émouvoir. D’une, par la grâce des interprètes — Cooper fait d’abord mine de vouloir se fendre d’un numéro de séducteur à l’ancienne, avant de laisser toute la lumière à sa partenaire Lilli Palmer. La classe, le mec. De deux, parce que ce qui intéresse Lang, ce n’est pas le flirt des tourtereaux, mais de montrer à quel point l’épuisement confine à la folie, pour celle dont la vie n’est plus qu’une suite de dangers mortels évités de justesse. Et de s’ouvrir un abîme dans la dissonance entre badinage et tragédie. Le plan inattendu qui montre l’héroïne cauchemarder, dans lequel elle apparaît comme ligotée avec son drap de lit, est à ce titre mémorable.

Je parlais de séquences de dingo, il y en a au moins deux. Petit a, celle de l’assaut de la maison où est retenue la physicienne hongroise enlevée par les nazis, dont la conclusion est d’une sécheresse à couper le sifflet. Petit b, celle célèbre de la lutte à mort contre le chaperon maléfique du physicien italien — deux minutes d‘ultraviolence muette (c’est probablement dans ma tête, mais je crois y déceler une source d’inspiration du face-hugger d’Alien), qui constituent un très grand morceau de cinoche.