Les Chroniques de Poulet Pou : aspects du film-dossier. Retour sur Nos frangins/She said

Nos frangins (Bouchareb, 2022) / She Said (Schrader, 2022).

Aspects du film-dossier, espèce reconnaissable à son épilogue qui s’inscrit sur l’écran façon sentence, après que les images ont parlé. Le premier est une évocation des meurtres de Malik Oussekine et Abdel Benyahia, tués par la police la même nuit de décembre 1986. Couloirs sinistres où rôde le barbouze de l’IGS — barbe idoine et cuir melvillien —, qu’un barbouze plus gradé a chargé d’étouffer les affaires. Images d’archives — certaines vraies featuring Chirac, Mitterrand et Pasqua, d’autres fausses, où l’on reconnaît les comédiens — on pourrait d’ailleurs s’interroger à ce sujet, mais vous voudrez bien me pardonner de laisser cet ergotage à d’autres. Bouleversant portrait des familles en deuil. Révérence aux morts — via le personnage marquant de l’employé de la morgue, qui tient en quelque sorte la place du chœur dans cette double tragédie. Le tout, qui m’a semblé plein d’une étrange poésie, fait coexister sans forcer prosaïsme et béance — chanson de Renaud et couloirs sinistres —, et constate une injustice jamais vraiment réparée.

Le deuxième, signé Schrader — pas Paul mais Maria, du reste aucun rapport, elle est allemande —, traite des crimes du mogul de Miramax. En France, on met des dizaines d’années à faire un film sur tel ou tel événement — ça me fait penser que j’ai raté le récent Harkis de Faucon —, aux USA ils sont réalisés pour ainsi dire en temps réel. Le monstre Weinstein se fait d’abord entendre sur fond de travelling kubrickien dans un couloir sinistre (écoutes réalisées lors de l’enquête Gutierrez), puis son dos apparaît soudain en gros plan dans les locaux du New York Times — l’acteur qui joue le dos a été super bien casté. C’est peu dans ce film-fleuve que je n’ai pas tant trouvé désagréable qu’ennuyeux, et pendant lequel j’avoue avoir souhaité que le duo de journalistes irréprochables, façon Redford/Hoffman au féminin, réussisse à convaincre un peu plus vite les victimes de témoigner. Le film de Bouchareb dure presque 40 minutes de moins. Voyons les choses du bon côté, on termine ici avec le sentiment que justice a été faite.