Les chroniques de Darko – Les Feux Sauvages : une traversée morose de la Chine

Il n’est pas mensonger de dire que Jia Zhang-ke est l’un des représentants internationaux du cinéma chinois les plus importants de ces vingt dernières années. De Still life (2006) au film présent, il aura écumé les festivals et récolté quelques récompenses méritées au passage en faisant de la Chine contemporaine un portrait réaliste frappant à sa manière. Le film était d’ailleurs sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2024. L’histoire se déroule précisément sur une vingtaine d’années, celles au cours desquelles le réalisateur, quand il n’était pas occupé à tourner un long-métrage, partait « en chasse » pour filmer des bouts documentaires en laissant faire le hasard en ce qui concerne les rencontres avec des personnes ou des espaces différents, laissant son égérie – Zhao Tao – apparaître dans le cadre en jouant plus ou moins un personnage de fiction en fonction de ce qu’elle inventait.

C’est l’histoire d’une jeune femme de Datong qui à l’aube des années 2000 se voit abandonnée par son compagnon qui travaille dans l’immobilier et qui décide tout à coup d’aller voir ailleurs. Elle n’aura de cesse alors de chercher à le retrouver et ce sont ses errances que le film nous montre à travers le pays, de Datong à Zhuhai en passant par Fengjie, entraînant au passage la description d’un pays où tantôt la pauvreté prédomine, la ville de Datong – ville de l’intérieur – ne bénéficiant pas de la modernisation rapide à laquelle à accès le reste du territoire et vivant essentiellement des activités extractives – le film nous montre des mineurs le visage noirci par le charbon – où le paysage de ruines de Fengjie – au milieu duquel Qiaoqiao se promène – est emblématique des bouleversements ultra-violents qu’ont connu la région et ses habitants, où enfin dans le Sud près des côtes Zhuhai représente la Chine du développement technologique avec ses industries de pointe.

Le film est essentiellement composé de rushes plus ou moins adroitement mis bout à bout dans le but de constituer une histoire

QiaoQiao traverse ces différentes contrées comme on traverse le cadre, prenant le ferry qui fend l’eau ou le train à la vitre duquel défile le paysage, ferme dans son désir de retrouver Bin – son amant – tout en construisant sa personnalité au cours de ce voyage un tant soit peu initiatique. Mais sans jamais avoir lu le dossier de presse auparavant, on se rend bien compte que le film est essentiellement composé de rushes plus ou moins adroitement mis bout à bout dans le but de constituer une histoire, filmés sur des supports différents et variés – passant de la caméra numérique au 16 ou au 35 millimètres – à tel point qu’il forme comme une espèce de mosaïque dont la forme d’ensemble se laisse difficilement entrevoir et dont le seul guide, et le seul garant d’une certaine cohérence, est l’errance de Qiaoqiao.

Cependant, face à l’amas d’images supposées représenter la diversité du pays, le personnage s’efface peu à peu et l’on peine à tracer une courbe d’évolution de son caractère immuable face aux évènements – son silence imperturbable constituant un langage en soi, entrecoupé de textos adressés à Bin qui ne lui répond pas, la télévision faisant un appel à témoins prenant pour un court instant le relais. Pourtant, Qiaoqiao décide de rompre avec sa quête: mais rien dans le scénario ne l’y amène, ne la conduit à ce point de rupture que l’on eût voulu inévitable. Héroïne du film, elle reprend sa course – au sens littéral du terme – seule après avoir abandonné Bin, vieux et pathétique, sur le trottoir de la vie. Le film souffre de trop de défauts pour apparaître comme un grand film de Jia Zhang-ke, l’absence d’unité étant le principal écueil du film comme son intrigue ténue, un rythme mollasson et des personnages trop distraitement dessinés. On regrette d’avoir à le dire mais on s’ennuierait presque.