Les chroniques de Darko : retour sur Eat the Night : Plus dure sera la chute

Pablo – joué par Theo Cholbi, révélé au cinéma par Larry Clark en 2015 dans The Smell of us et vu plus récemment dans La nuit du 12 (2022) – vit avec sa sœur encore adolescente Apolline et tous deux entretiennent une relation tendre et passionnée qui se poursuit jusque dans le jeu en ligne baptisé Darknoon auquel ils jouent ensemble depuis de nombreuses années. Mais voilà que le site annonce sa fermeture pour le prochain solstice d’hiver. Le film déclenche dès lors un compte à rebours qui affiche régulièrement à l’écran le nombre de jours qui restent avant l’extinction de l’univers virtuel (spécialement créé pour les besoins du film). Pablo quant à lui gagne sa vie en vendant la drogue qu’il fabrique et conditionne lui-même au sein de sa planque après avoir acheté les produits nécessaires auparavant sur Internet. Autonome, il l’est d’autant plus qu’il semble avoir quitté l’école depuis longtemps et que son père a déserté le foyer familial auquel il ne revient qu’à l’occasion des fêtes de Noël. C’est le sentiment de solitude qui caractérise d’ailleurs le mieux les personnages du film: Pablo n’a pas d’amis et n’est vu qu’à travers l’angle de son rôle de dealer ou de frère attentionné envers sa sœur – à peine a-t-il travaillé comme mécano un certain temps – Apolline vit au sein de son monde virtuel comme au fond d’un monde merveilleux dont la fin annoncée la terrifie tandis qu’elle s’accoutre devant sa glace de la panoplie de son héroïne d’alter ego.

Night – Erwan Kepoa Falé vu récemment dans Le lycéen de Christophe Honoré en 2022 – quant à lui est manutentionnaire pour une grande chaîne de magasins et c’est d’ailleurs ainsi qu’il fait la rencontre de Pablo venu dealer aux abords. C’est que ce dernier a empiété par inadvertance sur le territoire d’une bande de ses concurrents et qu’il va recevoir une leçon musclée de leur part. Night est là pour le réconforter, premier contact empreint d’empathie qui va conduire Pablo à lui proposer de devenir son acolyte dans son trafic. Les deux jeunes hommes arpentent alors la ville, les cafés, les bars, les lieux de fêtes en proposant leur marchandise.

C’est le sentiment de solitude qui caractérise d’ailleurs le mieux les personnages du film

Une amitié se noue, et bientôt ils deviennent amoureux l’un de l’autre. Pablo passe tout son temps avec Night et Apolline se sent quelque peu délaissée jusqu’à ce qu’elle finisse par accepter l’amitié de Night en l’absence de Pablo tombé entre les mains de la police. Dès lors on peut se dire que ces trois-là se sont bien trouvés et qu’ils ont fini par trouver une issue à leur solitude respective. Solitude soulignée par le paysage urbain en dégradés de gris, vu en plongée depuis les hauteurs de la ville, le pavillon isolé en banlieue, le quai désert, le petit restaurant rapide turc à la décoration minimaliste, l’entrée du grand magasin constituant un environnement gris et maussade.

Seule la planque de Pablo au sein de laquelle il vit retiré dans les bois semble être un havre de paix inaccessible pour tout autre qui n’en connaîtrait pas le lieu. C’est symboliquement qu’il sera fracturé par la bande de Louis, mettant fin au précieux secret dont il est le dépositaire, celui d’un bonheur à vivre. Car c’est là qu’il fabrique la drogue mais c’est aussi le lieu de ses retrouvailles amoureuses avec Night et de leurs ébats. Les deux garçons semblent en effet filer une idylle parfaite. Mais le compte à rebours continue de décliner les jours, les heures, les minutes qui restent encore avant quoi? Avant la fin d’un monde au sens propre du terme même si celui-ci est virtuel. La réalité semble rattraper Pablo et les protagonistes du film au fur et à mesure que s’écoule le temps et que se rapproche la fin du rêve merveilleux de l’enfance – ou de l’adolescence. En témoigne la bande criminelle de Louis qui va s’en prendre au duo et qui représente le principe de réalité auquel vont être confrontés Pablo et Night. Tandis que dans le monde virtuel de Darknoon on se relève d’un combat sans égratignures et qu’on ne meurt jamais vraiment, les coups que portent les malfrats dans la vraie vie – même si leur description est quelque peu caricaturale eu égard au réalisme du reste du film – laissent des traces indélébiles dont on ne se remet pas facilement. Les deux univers d’ailleurs s’expliquent l’un l’autre s’entremêlant et se répondant habilement tout le long du film. Au suspens d’un monde sur le point de s’effondrer correspond l’effritement du rêve de Pablo et le rythme de plus en plus haletant d’une tension morbide portée par les protagonistes du film. Pour un peu, on eût souhaité que ce dernier noircisse encore un peu plus le trait, histoire d’aller jusqu’au bout de ses intentions.