Voilà une adaptation totalement étincelante et qui vient illuminer l’œuvre romanesque de Philip Roth : (avec et sans) Tromperie. En effet, les actrices et acteurs ont l’air, déjà (même si cela est ultra-maîtrisé) de prendre leur total plaisir dans ce huis-clos, un appartement (mais il y aura le restaurant, l’hôpital, la maison…) lui-même d’une grande clarté, ensoleillé et jouant entre les zones d’ombre et de lumière dans l’espace, et dans les cœurs des deux figures, l’écrivain et l’amante.
Tromperie est un film de confidences et d’écoute, de visages et de masques, de réel et de projections d’images que tout le monde possède quelque part en lui
Ici le dialogue est primordial (fonctionnant presque tout le temps par paires), comme un souhait du cinéaste retourné à la langue, à la littérature et à la littérarité, de partager cet, leur échange des idées en leur faisant acquérir, dans les bouches et les corps de Denis Podalydès et Léa Seydoux, une force et une présence rarement vues dans son cinéma. Desplechin est cérébral, et si l’on peut encore ressentir ce trait, la dimension plus érotique, sensuelle, parfois conflictuelle de la relation montrée sculpte les personnalités des personnages, comme pour l’artiste, elle révèle un nouveau mode de création des images, et pour le spectateur une réception singulière. La finesse d’esprit et la jubilation charnelle, qui émanent des échanges, des regards, des plans, cachant.montrant autant des chairs que des livres, permettent ce partage avec le spectateur, comme pour l’élever, ou le rendre partie prenante de la réflexion. C’est qu’il ne s’agit pas ici que d’une histoire d’amant.maîtresses (on voit en effet un lot de femmes passées dans la vie de Philippe, telles Emmanuelle Devos, Anouk Grinberg, Rebecca Marder, Madalina Constantin) mais de mettre en œuvre et en espace une fiction : le film parcourt la question juive et l’antisémitisme anglais (cela se passe à Londres), la question amoureuse et l’adultère, la question de la conscience de soi et la psychanalyse – est-ce la participation de Julie Peyr comme coscénariste qui donne au film cette tonalité empreinte de désirs divers ?
Tromperie est un film de confidences et d’écoute, de visages et de masques, de réel et de projections d’images que tout le monde possède quelque part en lui : à travers le chemin que parcourent les deux figures, on pense alors aux scènes de couple de Bergman ou aux huis-clos de Chéreau. Hommages. Chaque espace semble devenir le paysage intérieur et fonctionne en miroir pour narrer diverses situations desquelles tente d’émerger la substantifique moelle, soit la possibilité d’un sentiment et de sa conscience (depuis la cause jusqu’à la conséquence, en passant par son action). Le travail effectué semble reproduire le mécanisme des poupées russes, mécanisme qui voudrait mettre à nu, en les faisant naître, tous les interstices qui rendent réels, présents des fondements (d’une relation), passés, présents ou envisagés. C’est peut-être la meilleure interprétation de Léa Seydoux qu’on a tellement vue sur les écrans en 2021 qui permet également d’ancrer ces personnages et d’offrir une identification possible – dans le même temps qu’il s’agit d’un délice inaccessible. Denis Podalydès, s’il reste avec les qualités qu’on lui connaît, joue le rôle du psychanalyste, calme, à l’écoute, parfois moqueur jamais narquois, qui sait (ou saurait), sans jamais prendre le pouvoir : car au fond, il ne pourrait exister sans toutes celles qui alimentent ses désirs, fantasmes, son écriture. L’homme est à sa place, et il fait se déplacer celles qui vénèrent. Film féministe (cf. le procès féminin).
Dans ce film fluide, malgré son goût du détail (visuel comme verbal), faisant appel aux sens (vue, ouïe, toucher, odorat, goût) comme aux souvenirs, au théâtre comme à la musique, faisant voyager du pont de Brooklyn à la Tower Bridge de Londres, en passant par des images fantasmagoriques, Arnaud Desplechin se démarque, effectue un déplacement ou un aboutissement au sein de sa filmographie. En déplaçant sa palette comme en réduisant la volonté du tout réussir, en offrant ce moment de livre.libre échange comme en nous faisant participer au doux libertinage de ses personnages, il fait sortir son œuvre d’une forme d’orgueil et de préjugés, et rend le public rois et reines en échange de quoi il peut lui accorder toute son admiration à l’image de celle que le cinéaste porte au romancier à qui il emprunte son art créateur. Dans ce rythme qui donne l’impression d’un tâtonnement et à l’inverse d’une réalisation totalement maîtrisée, Tromperie ne trompe pas sur la marchandise, ce qui est appréciable… période de crise sanitaire oblige…