Les Chroniques d’Ana : Aline, le conte de Céline

C’est un peu tardif, vous me direz… mais mieux vaut tard, que jamais. Dis, Valérie, ç’aurait pu commencer comme ça, une chanson : « Dis-moi, Céline, les années ont passé Pourquoi n’as-tu jamais pensé à te marier ? De toutes mes sœurs qui vivaient ici Tu es la seule sans mari. » et finir ainsi, comme un conte : « Ne pleure pas, non, ne pleure pas Tu as toujours les yeux d’autrefois Ne pleure pas, non, ne pleure pas Nous resterons toujours près de toi Nous resterons toujours près de toi. » Car c’est bien ici un conte que nous donne à voir et à vivre l’humoriste, actrice et réalisatrice Valérie Lemercier.

D’en dessous d’une estrade, à contempler ses 13 frères et sœur lors d’un spectacle musical familial, ou sortie de sous la table lors d’un mariage pour chanter, comme si de rien n’était, Mamy Blue de Nicoletta, elle fait voir le bout de son nez. Aline Dieu (Valérie Lemercier) est là, comme naine, du haut de ses 6 ans, faite de l’artifice numérique (au visage) et des effets spéciaux (au corps) pour la rapetisser (ce qui la disproportionne de façon grotesque), et lui donner déjà l’allure d’une Céline, pas belle presque moche, mais déjà remarquable. Une sorte de personnage hybride auquel la réalisatrice va s’intéresser : banal et extraordinaire, timide mais extravagant, simple mais talentueux, pataud et fantaisiste. Hybride aussi que ce faux biopic adapté (les parents de Céline ne sont pas vraiment contents au passage), alternant entre des scènes (familiales) farcesques et des moments de mélo romantique. C’est que Céline Dion semble être tout ceci à la fois, une Québécoise qui a su tirer parti, malgré tout, du fait d’être la 14e d’une lignée, des conseils de sa mère Sylvette (l’excellente Danielle Fichaud), de l’expérience offerte par son manager Guy-Claude (René Angelil, et ici l’excellent Sylvain Marcel) dès ses 12 ans, et de sa propre énergie, totalement hallucinante puisqu’ayant fait d’elle une star internationale, qui chante, danse et se meut sur la scène. Valérie Lemercier est également hallucinante dans cet exploit mimétique quasi parfait, et surtout l’humilité avec laquelle elle construit le personnage, son récit, son montage et le charme qui en découle… partant des années 1932 (les grands-parents) pour arriver aux années 2000. Ce seront ainsi tous les épisodes de la vie de la femme qui seront passés en revue, depuis son mariage, sa perte de voix, son premier enfant (puis ses jumeaux) comme ceux de sa vie de chanteuse, de maquillage en tournée, d’interviews sur des plateaux télé aux tire-laits…

Ce qui est assez fort dans ce film et vient faire dépasser au genre sa propre limite est le choix de la réalisatrice de poser un double regard sur son personnage, soit sur elle-même puisqu’elle assume et assure le rôle. C’est en effet une réflexion qui devient émotion car elle vient rappeler ce qu’est aussi une artiste, prise par la solitude après la folie des concerts, la fatigue après le travail, le blues après les interruptions, les doutes d’un égo sans égaux. Valérie Lemercier arrive à réfléchir et produire un objet à la manière d’une analyste, d’une sœur de métier (bien que sans commune mesure) mais également d’une fan bienveillante. C’est donc une double performance qu’elle réussit, en tant qu’actrice et en tant que réalisatrice, parvenant à avoir la distance nécessaire avec son triple objet, le personnage, le film, et donc elle-même, comme si la mise en abyme croisée l’amenait à un effacement permettant la mise en lumière de quelque chose de plus interne, d’intime. Alors oui, vu ainsi, on peut quand même se dire que rien n’est vraiment crédible pour un film qui parle du milieu du show-biz, d’une artiste partie de rien et devenue multimillionnaire, qui fait défiler tenues de soirée, limousine et châteaux (pas) en Espagne, et qu’une humoriste souvent caustique et populaire vient défendre de manière niaise car romantique, la star étant prise entre famille, patrie, amour et chanson. Mais n’est-ce pas le pouvoir de l’image que de re.conter le réel, celui de Céline Dion ; et quel spectateur lambda n’aura pas entendu sa voix sur Titanic, vu quelques-unes de ses frasques sur des plateaux télé, reconnu ses reprises de Jean-Jacques Goldman quand ce ne sont pas ses expressions et manières que Lemercier reprend au détail ? Un choix, le sien, rester collée, tendrement, et libre aussi, en adaptant. Émouvant.

Pas mal d’avoir tenté ça, et pour finir en chanson, on peut encore citer les paroles d’un tube de France Gall : « Quand je suis seule et que je peux rêver Je rêve que je suis dans tes bras Je rêve que je te fais tout bas Une déclaration Ma déclaration », et même citer l’artiste, en 2001, à propos de sa rencontre avec Michel Berger : « Ça a transformé mon existence, ma vie. Ça m’a apaisée. » Voici le film apaisé, et apaisant d’une chanteuse dont un producteur a transformé l’œuvre et la vie, et d’une femme, ordinaire, qui a offert à tous les gens qui ne la connaissaient ni ne l’écoutaient – dont moi – cet extra.ordinaire partage, nom de Dieu !