La sortie et le succès en 2021 de deux adaptations de récits auto-socio-biographiques d’Annie Ernaux, Passion simple et L’Évènement, atteste du fait que l’adaptation cinématographique de l’œuvre de l’écrivaine possède un véritable avenir. Les Années Super 8 ne se laisse pas emporter sur les rives de la fiction, en empruntant la voie du documentaire, témoignant de la sincérité d’Annie Ernaux qui, écrivaine-née, se devait de rester proche de son univers.
Le jeudi 6 octobre 2022, le verdict tombe, Annie Ernaux reçoit le Prix Nobel de littérature. Cette récompensable inestimable est justifiée par le jury en grande partie en raison du courage de l’écrivaine pour son œuvre autobiographique et accessible à tous. Elle vise l’universalité et ne souhaite pas avoir comme seuls lecteurs les intellectuels et érudits des cercles littéraires. L’académicien Anders Olsson présente la lauréate en affirmant notamment que « quand elle met au jour, avec courage et acuité clinique, les contradictions de l’expérience sociale, décrivant la honte, l’humiliation, la jalousie ou l’incapacité à voir qui l’on est, elle accomplit quelque chose d’admirable et qui s’inscrit dans la durée »,
Annie Ernaux et son fils David Ernaux-Briot ont réalisé ensemble un documentaire sur les années de jeunesse de l’écrivaine. Si on le présente ainsi, la réalisation peut sembler très plate et insipide, comme du déjà-vu dans tous les souvenirs filmés avec des moyens amateurs, il existe néanmoins dans Les Années Super 8 quelque chose de plus que cela, quelque chose qui ne fait pas que décrire et retracer une vie, mais qui interroge l’œuvre et l’amour en question.
A travers Les Années Super 8, l’écrivaine ajoute des images à la vie qu’elle a l’habitude de raconter par des mots, ainsi qu’à la charge émotionnelle que représente le fait d’avoir vécu, de vivre et de vivre encore. Ainsi, elle prolonge dans ce documentaire sa littérature qui rappelle comme une boucle sans fin l’essentiel : l’émotion de la vie.
Le film débute par des moments de vie quotidienne filmés avec une caméra Super 8, objet propre aux familles de classe bourgeoise : films de voyages, de vacances, de Noël, des enfants. En d’autres termes, tout ce qu’on est amené à filmer lorsqu’on est une famille unie qui souhaite conserver les moments les plus purs et éphémères d’une vie, comme pour ne pas pouvoir les laisser s’enfuir, ne pas les laisser sortir de la mémoire de l’individu lorsque celle-ci déclinera en écho à l’âge qui avancera. « Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu’à leur terme, elles ont été seulement vécues » écrivait Annie en amorce du Jeune Homme. On le comprenait également dans Les Années où chaque mot portait le poids du vécu. A travers Les Années Super 8, l’écrivaine ajoute des images à la vie qu’elle a l’habitude de raconter par des mots et à la charge émotionnelle que représente le fait d’avoir vécu, de vivre et de vivre encore. Ainsi, elle prolonge dans ce documentaire sa littérature qui rappelle comme une boucle sans fin l’essentiel : l’émotion de la vie.
Ces saynètes muettes sont pour la majorité tournées par l’ex-mari d’Annie Ernaux entre les années 1972 et 1981 et sont montées et commentées par la voix de cette dernière. C’est donc un documentaire hybride, mais celui-ci tient son principal intérêt à l’œuvre littéraire auquel il se rattache et dont il constitue un prolongement.
On retrouve dans un premier temps les thèmes que l’écrivaine aborde régulièrement avec les mots qu’elle manie comme son instrument de musique. La classe sociale tout d’abord, lorsque celle-ci explique que la caméra Super 8 incarnait pour elle et son époux leur appartenance nouvelle à la bourgeoisie. Ainsi est montré l’intérieur de son appartement avec des plans spécifiques sur les meubles, sur sa propre mère, protagoniste de La Place, sur des éléments montrant la fin des Trente Glorieuses, comme elle l’avait écrit dans Les Années, en montrant l’accès soudain, quelque peu brutal et massif, d’une classe sociale à la culture, à la consommation de masse. C’est pourquoi Annie et son mari voyagent et le filment, conscient de cette transfiguration de classe. Elle est d’ailleurs assez critique sur la manière dont le changement s’est opéré à l’époque, notamment lorsqu’elle raconte le voyage qu’ils ont fait au Maroc en pensant découvrir une nouvelle culture, alors qu’ils n’ont fait que rester enfermés dans un club de vacances avec leurs confrères nouveaux bourgeois : un entre-soi qu’Annie ne craint pas des années plus tard de critiquer. La voix off d’Annie en témoigne, elle décrit et explique, avec simplicité et précision, ce qui a, à ce moment, constitué le point commun d’une pensée de classe comme point d’appartenance. Ainsi, ce documentaire représente une forme de prolongation des romans d’Annie. Celui-ci n’est pas unilatéralement autobiographique, mais vient harmoniser et renforcer ce que l’écrivaine a toujours voulu faire transparaitre dans ses œuvres.
Elle se met à nu en montrant à l’écran ces tendres souvenirs, car il existe quelque chose que le cinéma brise bien plus que l’écriture, c’est la pudeur.
Ce film dépasse néanmoins un simple prolongement des livres en ce qu’il apporte des images aux mots posés par l’écrivaine depuis tout ce temps. Les images ne sont pas anodines, elles ne sont pas là uniquement pour redire par l’intermédiaire d’un autre outil ce qu’Annie a déjà dit, dans une volonté qui pourrait être de toucher un nouveau public d’avantage sensible aux images et au son qu’à l’écriture. En réalité Les Années Super 8 n’est pas dédié à un nouveau public. mais vise comme toujours l’universalité, sans se préoccuper de savoir si les spectateurs seront déjà des familiers de l’oeuvre ou non. Ce documentaire apporte à son œuvre ce qu’elle ne pouvait dire par les mots et une barrière semble se briser ici entre l’écrivaine et le public. Elle se met à nu en montrant à l’écran ces tendres souvenirs, car il existe quelque chose que le cinéma brise bien plus que l’écriture, c’est la pudeur. Ici, Annie Ernaux accepte de se montrer, elle sort de son confort et, pour la première fois, ne se cache plus derrière ses chers mots qu’elle manie désormais mieux que sa propre parole.
RÉALISATEUR : Annie Ernaux, David Ernaux-Briot NATIONALITÉ : France AVEC : Annie Ernaux GENRE : Documentaire DURÉE : 1h01 DISTRIBUTEUR : New Story SORTIE LE 14 décembre 2022