Le Maître du Kabuki : Adieu, ma concubine

Présenté à la Quinzaine des Cinéastes cette année, Le Maître du Kabuki n’a pas fait grand bruit, peut-être en raison de sa durée prohibitive (2h54). Sang il-Lee, son metteur en scène, acteur de formation, est surtout connu pour avoir réalisé un remake japonais du fameux Impitoyable de Clint Eastwood. Avec Le Maître du Kabuki, il change totalement de genre pour dresser une fresque historique de plus de cinquante ans, de 1964 à 2014, sur les destins conjugués de deux acteurs de kabuki, particulièrement spécialisés dans les rôles féminins, appelés onnagata. Sorte d’Adieu ma concubine (Palme d’or 1993 ex aequo avec La Leçon de piano) nippon, Le Maître du Kabuki n’atteint pas forcément l’intensité de son modèle chinois, tout en parvenant à une certaine forme de grâce dans sa dernière partie.

Nagasaki, 1964 – A la mort de son père, chef d’un gang de yakuzas, Kikuo, 14 ans, est confié à un célèbre acteur de kabuki. Aux côtés de Shunsuke, le fils unique de ce dernier, il décide de se consacrer à ce théâtre traditionnel. Durant des décennies, les deux jeunes hommes évoluent côte à côte, de l’école du jeu aux plus belles salles de spectacle, entre scandales et gloire, fraternité et trahisons… L’un des deux deviendra le plus grand maître japonais de l’art du kabuki.

Sorte d’Adieu ma concubine nippon, Le Maître du Kabuki n’atteint pas forcément l’intensité de son modèle chinois, tout en parvenant à une certaine forme de grâce dans sa dernière partie.

Le Maître de kabuki narre les destins croisés de deux acteurs de kabuki, Shunsuke, le fils d’un célèbre acteur de ce style de théâtre japonais, volontairement outré et mélodramatique, et Kikuo, enfant adopté. Amitié, rivalité, jalousie, trahison, tout le programme des relations au long cours va y passer, jusqu’à ce que l’un des deux (on ne dira pas qui pour préserver un certain suspense, même si cela relève du secret de Polichinelle) finisse par s’imposer comme l’ultime référence en la matière.

A l’évidence, on se trouve devant une oeuvre de belle facture, techniquement irréprochable. On croit ainsi s’embarquer dans une version nippone de Il était une fois en Amérique, où une amitié d’adolescence va progressivement se transformer en relation d’amour-haine, ballottée par les contingences et les intermittences des sentiments. Le Maître du kabuki souffre néanmoins de deux inconvénients importants : 1) en dépit de sa longue durée, des ellipses narratives dommageables qui empêchent de s’identifier réellement au cheminement psychologique des deux protagonistes. 2) conséquence de cela, le film, malgré des événements mélodramatiques, engendre finalement assez peu d’émotions.

Très beau esthétiquement, le film déroule imperturbablement son programme froid et assez mécanique, sans que l’on parvienne à se connecter émotionnellement à ses personnages. Certes l’un des protagonistes s’avère être particulièrement antipathique mais il eût fallu pour incarner ce Michael Corleone en puissance, dégager un certain pouvoir de fascination qui aurait occulté sa négativité. En dépit de la séquence très forte de la mort du père de Shunsuke, Hanjiro (Ken Watanabe en vedette invitée), le reste se succède de manière lisse, sans heurts ni anicroches.

Pourtant le film réserve ses surprises dans sa dernière heure. L’un des deux personnages principaux va connaître une amputation, castration symbolique, qui va rebattre les cartes et enfin parvenir à rendre l’histoire émouvante. En bout de course, le film va atteindre une certaine grâce qu’il a toujours recherchée. comme le personnage survivant qui n’a cessé de poursuivre un état de perfection de son art. Rien que pour cette dernière heure, rendant hommage à la beauté du théâtre kabuki, parvenant enfin à toucher au sublime qui lui avait toujours échappé, le film vaut le déplacement.

3.5

RÉALISATEUR : Sang il-Lee
NATIONALITÉ : japonaise
GENRE : drame, historique
AVEC : Ryô Yoshizawa, Ryusei Yokohama, Soya Kurokawa, Ken Watanabe
DURÉE : 2h54
DISTRIBUTEUR : Pyramide distribution
SORTIE LE 24 décembre 2025