Le nouveau long métrage du cinéaste Rabah Ameur-Zaïmeche sort sur les écrans quatre ans après l’excellent Terminal Sud. Projeté à la dernière Berlinale dans la section Forum, Le Gang des Bois du Temple confirme non seulement le statut à part qu’occupe le réalisateur dans le paysage cinématographique français mais aussi l’immense qualité de son cinéma. Depuis Wesh Wesh, qu’est-ce qui se passe ? (qui témoignait d’un regard différent mais lucide sur la banlieue) à ce dernier opus, son septième, en passant par Les Chants de Mandrin ou une Histoire de Judas (relecture sensible du personnage biblique), Ameur-Zaïmeche n’a eu de cesse de proposer des œuvres engagées, profondément humanistes, superbement mises en scène. L’ensemble formant une filmographie extrêmement cohérente, tout aussi remarquable qu’inclassable mais qu’il convient de défendre et de mettre en avant.
Ameur-Zaïmeche n’a eu de cesse de proposer des œuvres engagées, profondément humanistes, superbement mises en scène.
Dans Le Gang des Bois du Temple, on suit un militaire à la retraite vivant dans le quartier populaire des Bois du Temple. Au moment où il enterre sa mère, son voisin Bébé, qui appartient à un groupe de gangsters de la cité, s’apprête à braquer le convoi d’un richissime prince arabe…
Amateur de polar musclé, passez votre chemin : nous ne sommes pas chez Olivier Marchal mais bien chez Rabah Ameur-Zaïmeche. Et tant mieux pour nous !
Dès le début, le ton est donné. Un personnage de la cité apparaît, Monsieur Pons. Sa mère meurt. Le spectateur est témoin de l’intervention des pompiers, de la descente du corps de son appartement HLM, puis de la fermeture du cercueil. S’ensuit alors une scène magnifique, bouleversante, probablement l’un des plus belles vues récemment en salle : l’enterrement de cette femme morte chez elle et respectée dans la cité, accompagné par une chanson de Annkrist, musicienne d’origine bretonne, « La beauté du jour ». Une mélancolie, une tristesse baignent l’ensemble, tout comme la tragédie, le destin et la mort hantent déjà le récit. Ce n’est, pourtant, que le début du long métrage. Amateur de polar musclé, passez votre chemin : nous ne sommes pas chez Olivier Marchal mais bien chez Rabah Ameur-Zaïmeche. Et tant mieux pour nous !
Si ce dernier investit un genre et un territoire déjà bien circonscrits par le Septième Art (le polar et la banlieue), ce qui l’intéresse ne réside pas dans l’action. Car d’action pure, il n’y en aura pas vraiment, à l’exception de deux scènes : celle du braquage de la voiture du prince saoudien par le gang dont il est question dans le titre, puis une autre où le groupe est tué sur ordre de celui qui s’est fait braquer. Deux séquences froides et dépouillées, sans emphase, sans recours au spectaculaire. Tout y est filmé de manière sèche, brute. Le réalisateur franco-algérien possède un sens de l’épure et de l’ellipse que n’aurait pas renié un Jean-Pierre Melville.
A n’en pas douter, plus d’un spectateur reprochera à ce Gang des Bois du Temple son manque d’action, ainsi que de nombreuses longueurs. Pourtant, ce sont ces moments clés qui bouleversent : lorsque Monsieur Pons vient faire son tiercé et assiste à la télévision à la course de chevaux, tout en discutant avec les habitués du lieu ou quand il garde les enfants de son voisin, Bébé ; les discussions entre les membres de la bande de braqueurs ; un repas improvisé. On suit le quotidien des personnages, le réalisateur leur laissant une chance d’exister, de ne pas être de simples caricatures. Mieux, si le film dégage une vraie poésie urbaine et contemplative (impression largement renforcée par l’utilisation de mouvements de caméra discrets mais fluides), il n’en demeure pas moins une œuvre politique, un constat social implacable. Loin des clichés habituels du film de banlieue (très loin de l’univers complaisant d’un Romain Gavras dans le pénible Athéna), et sans jamais sombrer ni dans le misérabilisme ni dans l’angélisme, le réalisateur montre une cité où l’entraide et la solidarité existent. Pas de trafic de drogue, de fusillades sanglantes, de gangs qui s’affrontent. Une banlieue comme devraient l’être toutes les banlieues. Un rêve, un vœu pieux ?
A l’image de Tonton, le chef de la bande, ses copains sont des gens attachants et sincères, qui aspirent à vivre mieux et qui choisissent la voie de la délinquance. Gangsters la nuit, ils aident une vieille dame à porter ses sacs de course le jour. De la même manière, ils entendent « bien » utiliser l’argent qu’ils ont volé au prince arabe. Est alors convoquée la figure (quasi mythologique) de Robin des Bois : celui qui vole aux riches pour redistribuer aux pauvres. Par ce biais-là, Rabah Ameur-Zaïmeche évoque les différences et les rapports de classe entre, d’un côté, ceux qui tentent de vivre comme ils peuvent et, de l’autre, ceux pour qui tout peut s’acheter. A sa manière, flirtant avec la fable (comme souvent, cruelle), il montre les ravages du capitalisme financier. Après que les copains, fiers de leur succès, ont évoqué leurs projets respectifs, la dernière partie du film voit le destin, la tragédie les rattraper inéluctablement.
La fin du Gang des Bois du Temple est littéralement émouvante. Une fois la vengeance du prince mise à exécution, l’histoire se resserre sur le personnage de Monsieur Pons dont on a appris plus tôt (et par hasard) qu’il était militaire, ex-tireur d’élite. Figure tutélaire, il accomplira une mission finale avant que le film ne se termine comme il avait commencé : sur le balcon de son appartement, il semble observer la cité et en être, dans une certaine mesure, un gardien ou un protecteur.
Cinéaste encore trop méconnu, Rabah Ameur-Zaïmeche signe pourtant ici une œuvre sublime, pleine de vie, et d’un humanisme revigorant même si cela se termine en véritable tragédie.
Cinéaste encore trop méconnu, Rabah Ameur-Zaïmeche signe pourtant ici une œuvre sublime, pleine de vie, et d’un humanisme revigorant même si cela se termine en véritable tragédie. Les membres du gang ont quelque chose de magnifique et de noble, loin du sentiment habituel qu’inspire en général ce genre de personnage. Le Gang des Bois du Temple doit être projeté sur bien plus d’écrans, tout comme il mérite d’être vu par de nombreux spectateurs. De manière évidente, il apparaît comme l’un des plus beaux films de 2023.
RÉALISATEUR : Rabah Ameur-Zaïmeche NATIONALITÉ : France GENRE : Drame, Policier AVEC : Régis Laroche, Philippe Petit, Marie Loustalot DURÉE : 1h54 DISTRIBUTEUR : Les Alchimistes SORTIE LE 6 septembre 2023