Athena : que le (mauvais) spectacle commence !

Le nouveau film de Romain Gavras était attendu au tournant. Après Le Monde est à toi, plombé par la complaisance, les clichés et le cynisme, ce projet autour d’une émeute de banlieue dégénérant en guerre civile avait de quoi susciter une certaine perplexité, voire une certaine inquiétude. Sa sélection à la Mostra de Venise, et l’accueil triomphal qui lui a été réservé, auraient donc dû, en principe, rassurer les cinéphiles les plus sceptiques.

En ce sens, disons-le d’emblée, le résultat est à la hauteur de la catastrophe tant redoutée.

En ce sens, disons-le d’emblée, le résultat est à la hauteur de la catastrophe tant redoutée. Mais, de quoi est-il question exactement dans Athena ? Un jeune garçon est mort dans une cité fictive, à la suite d’une prétendue intervention (bavure ?) de police. Son frère, militaire, de retour du Mali, retrouve sa famille déchirée : entre le désir de vengeance de son autre petit frère, Karim, et le business en péril de son grand frère dealer Moktar, il tente de calmer les tensions. Mais la cité va se transformer petit à petit en château fort, théâtre d’une tragédie familiale et collective. Le chaos s’installe.

Dès les premières images, le ton est donné. Un plan-séquence de près de dix minutes ouvre le long-métrage : l’attaque et la mise à sac d’un commissariat par la bande de Karim, bien décidé à venger la mort de son plus jeune frère et d’en découdre avec les forces de l’ordre. Cette séquence a de quoi impressionner, d’ailleurs sans doute n’existe-t-elle uniquement que pour remplir cette fonction auprès de spectateurs avides de sensations fortes. Elle permet également de mettre en place la tragédie, au sens « antique » du terme. Ainsi, le retour des jeunes dans la cité, leur retranchement, et le plan les montrant sur un pont attendant leur « ennemi » résonne-t-il peut être (tout du moins dans l’esprit de Gavras) avec la bataille des Thermopyles, durant laquelle 300 spartiates menés par Leonidas affrontèrent jusqu’à leur dernier souffle l’armée perse. La musique semble également confirmer cette interprétation, puisqu’à la fin de la séquence, on entend un chœur antique, qui s’intensifie lorsque le titre apparaît sur l’écran.

[…] Une esthétisation à outrance, à savoir, l’envie de rendre chaque plan absolument « beau », avec utilisation de couleurs saturées et de ralentis, suscite un vrai malaise et paraît tout à fait discutable.

L’un des problèmes du film, et pas des moindres, réside dans la représentation de la violence. En effet, une esthétisation à outrance, à savoir, l’envie de rendre chaque plan absolument « beau », avec utilisation de couleurs saturées et de ralentis, suscite un vrai malaise et paraît tout à fait discutable. On se croirait retourner, presque, au temps de la critique assassine de Jacques Rivette à propos d’un plan du film Kapò (mis en scène par Gillo Pontecorvo), dans un article devenu célèbre intitulé « De l’abjection » et paru dans Les Cahiers du Cinéma en 1961. Il y était alors question de morale au cinéma. Ici, tout est mis au service du spectaculaire, tout semble ainsi sacrifié à la recherche esthétique, avec l’impression extrêmement déplaisante que Romain Gavras se complaît dans la violence qu’il filme.

Si Athena est critiquable sur la forme, malheureusement il l’est tout autant sur le fond. La faute, en premier lieu, à un scénario caricatural (co-écrit par Ladj Ly, auteur des Misérables, bien meilleur sur un sujet assez similaire), tout comme le sont également les personnages.

Si Athena est critiquable sur la forme, malheureusement il l’est tout autant sur le fond. La faute, en premier lieu, à un scénario caricatural (co-écrit par Ladj Ly, auteur des Misérables, bien meilleur sur un sujet assez similaire), tout comme le sont également les personnages. Ces derniers sont écrits à l’emporte-pièce, ainsi peut-on aisément affirmer qu’ils n’existent pas vraiment, sauf à représenter des clichés ou des lieux communs. Il en va de même de la cité et des gens qui y habitent : des jeunes violents et « sauvages », des adultes irresponsables et qui ont peur (cf. la scène de la mosquée, vraiment surréaliste), des dealers qui hurlent insulte sur insulte. Il y a de fortes chances que le film ne divise pas seulement les critiques mais aussi les premières personnes concernées, tant la banlieue y est montrée de manière « clichetonneuse ». Cela apparaît d’autant plus regrettable que, par ses maladresses coupables, le film prête le flanc à toutes les récupérations possibles, notamment les plus outrancières.

L’intrigue elle-même retombe très vite, tel un soufflé raté. La dernière partie est à ce titre aberrante. Sans trop dévoiler ici son contenu, afin de laisser le spectateur la découvrir par lui-même, il nous est néanmoins possible d’affirmer qu’elle illustre assez bêtement un discours politique confus et hypocrite. Que veut vraiment nous dire Gavras ? Attaque-t-il la police ou la haine de la police ? Fait-il des émeutiers des héros ou nous alerte-t-il sur le rôle de l’extrême-droite dans la guerre civile ? Impossible de répondre à ces interrogations pourtant légitimes.

Finalement, Athena laisse un goût amer dans la bouche. Ni véritable film social, ni charge politique pertinente, le film est en réalité un fantasme de « banlieue chaude », par un cinéaste qui souhaite nous en mettre plein la vue. On connaissait la « guerre-spectacle » au cinéma, voici dorénavant la « banlieue-spectacle ».

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RÉALISATEUR :  Romain Gavras
NATIONALITÉ : France
AVEC :  Dali Benssalah, Sami Slimane, Anthony Bajon
GENRE : Drame, action, thriller
DURÉE : 1h37
DISTRIBUTEUR : Netflix 
SORTIE LE 23 septembre 2022