L’Aventura : la famille en vacances selon Sophie Letourneur

Deuxième volet d’une trilogie commencée avec Voyages en Italie (sorti sur les écrans en mars 2023) et qui devrait, en principe, se poursuivre en 2026, L’Aventura a été projeté en mai dernier au Festival de Cannes, en ouverture de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion). Sophie Letourneur convoque une fois encore le cinéma italien en reprenant (et modifiant légèrement) cette fois-ci le titre d’un classique d’Antonioni (pour son premier opus, il s’agissait d’une œuvre de Rossellini), tout comme le tube de Stone et Charden repris et chanté au générique. La cinéaste signe une comédie burlesque très réussie mais empreinte d’une certaine mélancolie.

On retrouve le couple formé par Sophie et Jean-Philippe, lors des vacances d’été en Sardaigne, en Italie. Un véritable (road) trip en famille. Claudine, bientôt 11 ans, raconte leurs aventures au fur et à mesure. Quand Raoul, son frère de 3 ans, ne l’en empêche pas.

La cinéaste signe une comédie burlesque très réussie mais empreinte d’une certaine mélancolie.

Le cinéma de Sophie Letourneur n’est pas aussi accessible qu’on pourrait le penser. Joyeusement chaotique, mais dans le même temps assez épuré sur le plan de la narration, L’Aventura risque bien de décontenancer certains spectateurs. Moins séduisant de prime abord que d’autres longs métrages de la cinéaste comme Énorme (2020), il constitue naturellement la suite de Voyages en Italie avec une différence notable : si ce dernier se focalisait sur le couple, ici il est question de la famille, puisque les deux enfants sont également de la partie. Letourneur parvient à insuffler la vie quotidienne dans son long métrage, à filmer les aléas de la vie : on a, de manière indiscutable, déjà rencontré cette famille lors de nos vacances ou même on peut s’identifier à elle, à l’image de la séquence très réaliste et très drôle de la cabine dans le bateau qui les emmène en Corse. Qui a déjà pris le ferry avec des enfants (à l’image du jeune et virevoltant Raoul) lors de ces traversées sait combien le temps paraît très long et qu’il est impossible de se reposer ne serait-ce qu’un instant. Dans L’Aventura, les enfants dictent finalement leur loi, imposent leur tempo, le couple Jean-Philippe / Sophie s’effaçant derrière eux. L’organisation ne semble pas être leur qualité première : ce voyage est loin d’être harmonieux et, si l’ensemble prête très souvent à sourire, le spectateur peut ressentir une certaine angoisse face à la situation jamais vraiment maîtrisée. C’est tout le cinéma de Letourneur qui est ici synthétisé en quelque sorte : entre trivialité (le film est jalonné de blagues scatologiques) et auscultation du couple/de la famille.

C’est tout le cinéma de Letourneur qui est ici synthétisé en quelque sorte : entre trivialité (le film est jalonné de blagues scatologiques) et auscultation du couple/de la famille.

Pour illustrer tout cela, Sophie Letourneur, fidèle à son style brut et éloigné de tout formatage, n’opte pas pour une forme classique. Le récit (ou plutôt les récits devrait-on dire) est fractionné, éclaté, certains dialogues n’ont pas de chute et semblent être juste plaqués, sans enjeu particulier. Le spectateur suit les vacances qui se déroulent mais également les souvenirs de ces moments que Sophie tente, avec sa fille, d’enregistrer en vue d’en faire un film. Il s’agit donc d’une œuvre en construction, jouant sur les décalages entre ces deux strates. Comment raconter réellement dans un film ce que l’on a vécu, ces instants légers, fugaces dont on a parfois du mal à se souvenir (malgré des enregistrements existants via le téléphone portable) ? La réponse apportée par Letourneur par le montage est remarquable : à plusieurs reprises, ces deux couches d’un même récit se mélangent, se répondent ou se contredisent, les trous de mémoire étant même récurrents. C’est cet aspect qui séduit le plus dans L’Aventura, d’autant plus que surgissent de beaux moments d’émotion (là où l’on ne s’y attendait pas) et des scènes plus mélancoliques : c’est le cas, notamment, lorsque Jean-Phi décide d’aller marcher dans la rue pour prendre l’air (la fuite ?), action captée par un magnifique travelling qui vient enregistrer la solitude du personnage, la dissonance au sein du couple ou encore la difficulté de communiquer. Il est possible d’être ensemble dans un même endroit mais ne pas être dans la même temporalité.

C’est cet aspect qui séduit le plus dans L’Aventura, d’autant plus que surgissent de beaux moments d’émotion (là où l’on ne s’y attendait pas) et des scènes plus mélancoliques 

L’Aventura est certes un film « bavard » mais il n’est en rien ennuyeux. Il enchantera probablement les amateurs du cinéma de Sophie Letourneur comme il désarçonnera (voire irritera) ceux qui n’en ont pas l’habitude ou qui ne l’apprécient guère. Pour autant, il convient de saluer l’originalité du projet, entre expériences personnelles et fiction, un côté anticonformiste revendiqué pleinement et l’envie de mettre en scène une histoire à plusieurs strates, sans tomber dans une quelconque facilité scénaristique. C’est donc un long métrage précieux, réaliste et émouvant qui constitue une alternative idéale aux blockbusters estivaux.

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RÉALISATRICE : Sophie Letourneur
NATIONALITÉ : France
GENRE : Comédie
AVEC : Philippe Katerine, Sophie Letourneur, Bérénice Vernet
DURÉE : 1h47
DISTRIBUTEUR :  Arizona Distribution 
SORTIE LE 2 juillet 2025