L’annonce faite à Marie : un « mystère » bien singulier

Il est des films étranges devant lesquels pourtant on éprouve un plaisir de spectateur intense. L’unique long métrage de l’acteur français Alain Cuny fait indubitablement partie de cette catégorie. En 1991, trois ans avant sa mort, ce dernier décide d’adapter à l’écran un texte phare de Paul Claudel dont il est l’un des plus fervents défenseurs et interprètes depuis plusieurs années sur les planches. Une adaptation qu’il mûrit depuis le milieu des années 70.

Au XVème siècle, Violaine, promise à Jacques, met son mariage en péril en embrassant par compassion Pierre, un ancien amoureux désormais lépreux. Mara, sa sœur jalouse, les voit et convainc Jacques qu’il a été trompé, tandis que Violaine, infectée par la maladie, est conduite à une léproserie. Plusieurs années plus tard, Mara qui a épousé Jacques vient voir sa sœur avec son nourrisson mort-né et supplie Violaine de le ressusciter…

Si Alain Cuny, acteur réputé austère, à la filmographie très riche, restitue parfaitement l’emphase du verbe propre à Claudel, il n’en signe pas moins une œuvre fulgurante et quasi expérimentale.

Il faut admettre que l’on peut se sentir un peu désarçonné dès les premières minutes du long métrage, face au phrasé et au jeu minimaliste des interprètes, évoquant les travers du théâtre filmé, assez souvent moqué par les pourfendeurs d’un certain cinéma d’auteur. Mais ce reproche serait totalement injuste et dénué de sens, tant cette crainte est vite balayée par la beauté formelle de l’ensemble. Si Alain Cuny, acteur réputé austère, à la filmographie très riche, restitue parfaitement l’emphase du verbe propre à Claudel, il n’en signe pas moins une œuvre fulgurante et quasi expérimentale.

Tous ces éléments témoignent d’une totale liberté d’exécution et détonnent nécessairement dans le paysage cinématographique français du début des années 90.

La liberté dont use Cuny (alors âgé de 82 ans) au niveau de la forme, iconoclaste et surprenante, séduit et fascine. La première audace réside dans le recours à la post-synchronisation des voix, ce qui apporte une tonalité des plus singulières. De la même manière, l’utilisation de décors minimalistes (une ferme aux murs blanchis par la chaux) est aussi une qualité à mettre au crédit du long métrage. Mais ce qui plaît davantage, ce sont les écarts et les multiples digressions que se permet le cinéaste, à travers une observation minutieuse de la nature et des saisons : un fruit pourri rongé par un insecte, le sillon tracé par un chariot dans la boue, la croupe fumante d’une vache, un étang endormi au fond d’une forêt riche et verdoyante ou, dans la deuxième partie, les paysages enneigés, et même des calottes glaciaires (Cuny avait délocalisé une partie du tournage au Canada). L’attention portée à ce qui se situe autour du drame en train de se jouer en devient littéralement passionnante. Pour cela, Cuny se permet d’utiliser des plans fascinants, choisit des cadrages vraiment étonnants, a recours à une bande-son avant-gardiste (réalisée par un élève de Messiaen) et à des costumes abstraits, signés par le peintre Pierre Tal Coat. Tous ces éléments témoignent d’une totale liberté d’exécution et détonnent nécessairement dans le paysage cinématographique français du début des années 90.

A ce stade, soulignons le travail remarquable de Caroline Champetier, grande directrice de la photographie, qui a su magnifier les couleurs. Pour bien comprendre la singularité du projet et le rôle que cette dernière y a joué, il convient de parcourir les bonus du DVD/Blu-Ray, édité par Potemkine (qui accompagne la ressortie en salles), et de visionner son interview, très « éclairante ».

Pour finir, évoquons l’une des scènes de L’Annonce faite à Marie, dont le photogramme a été repris sur l’affiche, et qui semble posséder même une résonance actuelle : Violaine en robe de fiançailles comparaissant sous la branche d’un pommier en fruits rappelle en effet étrangement, et dans un tout autre registre, Midsommar, mis en scène par Ari Aster et sorti en 2019.

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RÉALISATEUR :  Alain Cuny
NATIONALITÉ : France, Canada
AVEC :  Alain Cuny, Roberto Benavente, Christelle Challab
GENRE : Drame, Historique, Romance
DURÉE : 1h31
DISTRIBUTEUR : Potemkine Films
SORTIE LE 12 octobre 2022 (1ère sortie : 18 décembre 1991)