La Voyageuse : allégorie de la poésie

Iris was a pupil. J’ignore si Hong Sang-soo connaît ce morceau d’Autechre au titre malicieux — album Move of Ten, 2010 —, ou même s’il connaît le duo électro-bruitiste de Rochdale. Je serais du reste curieux de le savoir, tant Autechre et HSS construisent depuis une trentaine d’années une œuvre, musicale pour les uns, cinématographique pour l’autre, qui me paraît essentielle. Cependant l’Iris du film, interprétée par Isabelle Huppert, n’est pas une élève, mais une self-made prof de français, à l’étrange allure et aux méthodes pédagogiques encore plus étranges. Que fait-elle à Séoul, est-elle une allégorie de la poésie, c’est plus que probable — poèmes de Yun Dong-ju, 1917-1945, à la clé.

Enjambe le ruisseau jusqu’à la forêt

Franchis la colline jusqu’au village

D’une conversation banale, d’une interprétation musicale hésitante, d’un monument aperçu au détour d’une promenade, surgit soudain un questionnement intime, presque obscène — dont les correspondances d’un élève à l’autre amusent le spectateur habitué au principe de variations du cinéma de Hong.

Ses interlocuteurs se retournent, la caméra numérique qui les observait sans interrompre le plan-séquence effectue son pano coutumier, Iris — prononcer I-ris à la française, et non, bien que l’anglais soit la langue utilisée par les personnages pour se comprendre, Aïe-ris — a déjà disparu. Après son départ, il ne reste plus qu’à s’étonner de son étrange allure, et de ses méthodes pédagogiques encore plus étranges. En quoi consistent-elles, plutôt que de réciter des phrases toutes faites, la voici qui invite de but en blanc ses élèves à chercher au plus profond d’eux-mêmes. Ils devront énoncer le plus précisément possible ce qu’ils ont ressenti il y a un instant, pour en mémoriser plus tard la retranscription en français, qu’Iris leur aura enregistrée au magnétophone à cassettes, et notée sur une fiche bristol. D’une conversation banale, d’une interprétation musicale hésitante, d’un monument aperçu au détour d’une promenade, surgit soudain un questionnement intime, presque obscène — dont les correspondances d’un élève à l’autre amusent le spectateur habitué au principe de variations du cinéma de Hong.

Le personnage d’Huppert serait quant à lui une variation de ceux de ses précédentes collaborations avec le réalisateur — 2012, In Another Country et son immortelle réplique, Is there a lighthouse, y a-t-il un phare pour mieux voir, 2017, Claire’s Camera, dont la traduction VF fautive, La Caméra de Claire, faisait en réalité référence à un Polaroid aux clichés révélateurs. Ce qui me fait remarquer qu’ici aussi, le titre français gomme une partie du sens du titre international, A Traveler’s Needs — nous y reviendrons pour conclure. Quoi qu’il en soit, Iris est une sorte de lare espiègle — proche de Bacchus lorsqu’elle ne se fait pas prier pour reprendre un verre d’un alcool léger à l’aspect laiteux appelé makgeolli, et proche de Pan avec sa flûte à bec —, c’est-à-dire une divinité modeste et familière, dont la présence permet à qui la rencontre d’entrevoir quelque chose qui était caché. Cependant tout n’est pas clair, loin de là. Des questions m’agitent, peut-être pourrez-vous m’aider. Le jeune homme pourtant sincère qui l’héberge sans rien lui demander lui ment au sujet du montant du loyer. Ou alors, il ment à sa mère inquiète. Quelle pourrait être la signification de ce mensonge. Le sentiment poétique passe, les contingences demeurent. Ou bien est-ce le contraire. Rupture soudaine d’avec les immuables plans moyens hongiens, le visage de l’actrice endormie filmé de très près rappelle la montagne d’un plan de coupe — est-ce à dire que le personnage n’est plus la voyageuse, mais le paysage qu’elle visite.

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RÉALISATEUR : Hong Sang-soo 
NATIONALITÉ :  coréenne 
GENRE : drame
AVEC : Isabelle Huppert, Hye-Young Lee, Hae-hyo Kwon
DURÉE : 1h30 
DISTRIBUTEUR : Capricci 
SORTIE LE 22 janvier 2025