Traversée des apparences. Ne parlant pas coréen, je suis bien incapable de vous dire si le titre VF est plus fidèle à l’original que l’intitulé international, un sobre Novelist’s Film. Quant à mon accroche, j’ai hésité avec une fordienne Seven women. Cette dernière est exacte en terme de décompte, et d’évacuation des personnages masculins — à côté des sept femmes, il y en a quatre, rejetés à la périphérie, ce qui n‘est pas sans rappeler La Femme qui s’est enfuie de 2020 —, mais ça aurait été quand même un poil tiré par les tifs question lien thématique. Cependant l’accroche façon Virginia Woolf est-elle plus pertinente, on se le demande. Car si nous n’avons de toute évidence pas affaire à une mission catholique assiégée par des hordes de Mongols, comme dans l’ultime chef-d’œuvre du borgne numéro un d’Hollywood, il ne s’agit pas non plus, comme dans le premier roman de la noyée de l’Ouse, du récit du coming-of-age d’une toute jeune femme.
C’en est une déjà vieille, qui tente de revivre quelque chose — d’ailleurs non, ce n’est pas vraiment ça. Elle est au courant — peut-être connaît-elle la chanson — qu‘on voudrait revivre, mais ça ne se peut pas. Et si elle donne l’impression de vouloir renouer avec son passé, la nostalgie n’est pas de mise. Elle semble plutôt chercher un point d’appui pour faire l’expérience de quelque chose de nouveau. Autoportrait limpide de l’auteur, dont le film énonce les questions que se pose un artiste mûr, hanté par la crainte de perdre l’inspiration — au risque, peut-être, de perdre le spectateur. Moi je m’en fous, vous savez que je méga-kiffe Hong Sang-soo et gobe tout ce qu’il raconte, mais vous voilà prévenus. Le film n’est pas sans une certaine aridité, dans son propos comme dans sa forme — habituels plans moyens qui s’interdisent les banalités du champ-contrechamp, égayés par de rares zooms et panos, le tout dans N&B numérique ingrat.
Une déchirure s’opérera, et à travers les apparences d’aridité du questionnement de l’artiste, le spectateur se verra soudain cueilli, et bouleversé, par la beauté du visage de Kim Min-hee — regardé amoureusement les yeux dans les yeux.
L’intérêt de l‘accroche woolfienne, si elle en possède un, serait de souligner que tout a un sens caché. Il s’agit de lire ce qui est en jeu, à travers les formules de politesse et courbettes à n’en plus finir et que se rendent, non sans drôlerie, les personnages. À chaque rencontre, se fait entendre un questionnement d’ordre éthique ou esthétique — un questionnement d’artiste. Un seul exemple — du reste je dis politesse, or le début du film nous accueille avec une surprenante engueulade. Elle a lieu hors-champ, et peut se comprendre symboliquement. Peut, ou doit, les films de Hong, quoique tout ce qu’il y a de méta — ici peut-être encore plus que de coutume, ce qui contribue à l’aridité mentionnée plus haut —, ont la délicatesse de ne rien imposer. Mais ce qu’il y a, c’est que les cris sont comme amorcés par un geste de l’héroïne. Son doigt posé sur la couverture d’un livre évoque la tête de lecture d’un tourne-disque sur un 33 tours. Ce qui fait qu’il est permis de comprendre la scène comme l’expression du conflit entre l’œuvre en gestation et la romancière, lasse de ce qu’elle maîtrise jusqu’au dégoût, avide d’autre chose. Oui, mais quoi.
Elle trouvera, et ce sera l’occasion de se rapprocher des personnages, jusque-là observés de profil et de loin. Une déchirure s’opérera, et à travers les apparences d’aridité du questionnement de l’artiste, le spectateur se verra soudain cueilli, et bouleversé, par la beauté du visage de Kim Min-hee — regardé amoureusement les yeux dans les yeux.
RÉALISATEUR : Hong Sang-soo NATIONALITÉ : coréenne GENRE : Comédie dramatique AVEC : Hye-yeong Lee, Kim Min-Hee, Young-hwa Seo DURÉE : 1h33 DISTRIBUTEUR : Arizona Distribution SORTIE LE 15 février 2023