La Prisonnière de Bordeaux : la lutte des classes n’aura pas lieu

Patricia Mazuy occupe une place singulière dans le cinéma français contemporain. Ancienne monteuse d’Agnès Varda, elle s’est lancée avec succès dans la réalisation à la fin des années 80, son talent spécifique étant remarqué d’emblée par la critique. Septième film de Patricia Mazuy (si l’on compte le documentaire Basse Normandie co-réalisé avec Simon Reggiani), La Prisonnière de Bordeaux est à la fois l’inverse et le complément de Bowling Saturne qui montrait des phénomènes de masculinité toxique. C’est surtout le film le plus accessible et potentiellement populaire de Patricia Mazuy, porté par un tandem épatant d’actrices (Isabelle Huppert et Hafsia Herzi) qui se complètent parfaitement, en évoluant chacune brillamment dans des registres différents.

Alma, seule dans sa grande maison en ville, et Mina, jeune mère dans une lointaine banlieue, ont organisé leur vie autour de l’absence de leurs deux maris détenus au même endroit… A l’occasion d’un parloir, les deux femmes se rencontrent et s’engagent dans une amitié aussi improbable que tumultueuse…

C’est surtout le film le plus accessible et potentiellement populaire de Patricia Mazuy, porté par un tandem épatant d’actrices (Isabelle Huppert et Hafsia Herzi) qui se complètent parfaitement, en évoluant chacune brillamment dans des registres différents.

Avec La Prisonnière de Bordeaux, Patricia Mazuy s’attache à décrire l’amitié entre deux femmes que tout oppose : la classe sociale, la génération, le tempérament. Seule les réunit une habitude ou plutôt une contrainte familiale, celle de visiter chaque semaine leur conjoint détenu pour des délits divers (délit de fuite dans le cas d’un homicide involontaire par accident, cambriolage d’une bijouterie). Alors que Bowling Saturne était filmé du point de vue des hommes -la plupart agressant et méprisant les femmes -, La Prisonnière de Bordeaux adopte le point de vue inverse, se trouvant du côté des femmes obligées de subir les fautes et captivités de leurs maris.

Le grand intérêt réside dans la mise en parallèle d’Alma, la grande bourgeoise un peu fofolle et Mina, la prolo un peu réservée. Bien que, sur le papier, cette rencontre semble opposer des clichés caricaturaux, à l’écran, les personnages existent dans toute leur densité grâce aux actrices ainsi qu’à la mise en scène. Isabelle Huppert retrouve la veine comique assez peu exploitée dans sa carrière hormis dans Coup de torchon et Copa Cabana et prouve qu’elle peut être aussi une très grande actrice de comédie. Hafsia Herzi, en passe de devenir l’une de nos comédiennes les plus importantes, creuse encore un peu plus la dimension d’opacité qu’elle avait laissé deviner dans Le Ravissement et Borgo. Toutes les deux parviennent à briller sans jamais se gêner dans ce jeu du chat et de la souris, une amitié destinée à combler l’immense vide de la solitude de l’une, et à améliorer le confort logistique et financier de l’autre.

Aidée à l’écriture par François Bégaudeau, Pierre Courrège et Emilie Deleuze, Patricia Mazuy cible bien davantage les ridicules et travers bourgeois que ceux du prolétariat qui n’a dans la narration guère d’autre solution que de s’adonner à la petite délinquance. Pourtant, à l’arrivée, dans cette relation a priori déséquilibrée qui aurait pu donner lieu à du vampirisme chabrolien, cf. Betty, c’est plutôt la bourgeoise qui y gagne un vent de liberté et d’anticonformisme qu’elle ne s’est jamais autorisé, la prolétaire consolidant plutôt ses bases familiales et échappant au boulet de la sanction. Pas vraiment de perdantes ici, toutes les deux au départ prisonnières de leur condition y échappent d’une manière ou d’une autre à la fin. C’est la générosité du regard de Patricia Mazuy sur ses personnages.

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RÉALISATRICE : Patricia Mazuy 
NATIONALITÉ :  française 
GENRE : comédie dramatique 
AVEC : Isabelle Huppert, Hafsia Herzi 
DURÉE : 1h48 
DISTRIBUTEUR : Les Films du Losange 
SORTIE LE 21 août 2024