Ce n’est pas un crabe mais une araignée de mer, eh. Enfin de mer, c’est vite dit, la bestiole en question a élu domicile au fond d’un lac. Bref, mettons que c’est la Légende du grand dadais barbu et n’en parlons plus. Ou plutôt si, tâchons d’en dire quelque chose, ça ne coûte rien d’essayer de se changer les idées. Avouons-le tout de suite, j’ai trouvé pas mal, sans avoir été complètement transporté. Allez le voir pour voir — j’étais à une séance assez peuplée, avec quelques défections. Ce n’est pourtant ni si long, ni si intenable. L’image est belle, je ne sais pas si c’est de la vraie pellicule mais ça y ressemble, il y a un grain et une lumière magnifiques, on le constate dès les premiers plans, où le héros les pieds dans l’eau — prénom Luciano, c’est lui le grand dadais barbu — se penche pour ramasser un bijou immergé. Scène suivante, un chasseur à trogne cadré poitrine fait mine d’uriner. Est-il exagéré de mal le prendre, en l’interprétant comme le compissage des spectateurs du film ? Je me souviens avoir eu la même impression lors d’une scène de Copie conforme du facétieux Kiarostami. On me rétorquera que je prends la mouche pour un rien.
Kiarostami, Accatone de Pasolini, les conquérants de l’impossible de Herzog, le cinéma de Miguel Gomes, La Flor, tout cela en un seul film.
Mais ce que je veux dire en réalité, c’est que si je n’ai pas été complètement transporté, c’est parce qu’il me semble que le film peine à trouver une voix vraiment personnelle. Il n’est pas certain que la référence à Kiarostami ait lieu ailleurs que dans ma tête, en revanche les autochtones viterbais à trognes, auxquels s’ajoute un propos à teneur politique, font immanquablement penser à Pasolini — et comme par hasard, il y a au second chapitre une réplique similaire à celle d’Accattone émettant le souhait de mourir couvert d’or ’’come i faraoni’’. Autre référence glorieuse, l’amusant mélange de pseudo-western/film de pirates que constitue ledit second chapitre évoque les mésaventures des conquérants de l’impossible chers à Herzog.
Le picaresque du récit (Luciano est un révolté plus ou moins titubant) et la narration hésitante via chœur (les chasseurs à trognes) ont également rappelé à mon bon souvenir le cinéma de Miguel Gomes. Et même si c’est plus concis, comme la partie western/pirates se déroule en Patagonie, il est difficile de ne pas aussi penser à La Flor, et d’avoir envie de crier, Llinàs. Pour qu’il revienne à son point de départ, à savoir les pieds dans l’eau, quel drôle de chemin a-t-il fallu que Luciano prenne. J’ai trouvé la fin tout ce qu’il y a de téléphonée, mais l’émotion passe quand même — surtout grâce à la comédienne. L’acteur principal est plutôt monolithique, c’est sûrement la barbe. Elle est tellement grosse que d’une part on pense à Will Oldham, et donc à Kelly Reichardt, et que de l’autre on ne voit Luciano ni parler ni siffler, ce qui occasionne parfois une incertitude comique. Je ne sais pas si c’est fait exprès. En tous cas, lors de l’acte patagon, ladite barbe est moins fournie, et, prenant à partie une hypothétique divinité, le personnage vocifère au sujet de sempiternelles histoires d’or et de pharaons. On est sûr que c’est lui qui s’exprime, étant donné qu’il est tout seul au milieu des crabes, créatures placides quoique indifférentes, dont le cri est en tout état de cause des plus discrets.
RÉALISATEUR : Alessio Rigo de Righi, Matteo Zoppis NATIONALITÉ : italienne AVEC : Gabriele Silli, Maria Alexandra Lungu, Severino Sperandio GENRE : Drame, historique, aventure DURÉE : 1h39 DISTRIBUTEUR : Shellac SORTIE LE 23 février 2022