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Guillaume Brac : « Le sujet de mes films, c’est celui de la rencontre »

Cinéaste du présent, Guillaume Brac fait se rencontrer les mondes. En 2009, il filme un cycliste en peine sur la côte picarde avec Un Naufragé et nous fait découvrir le comédien Vincent Macaigne. En 2011, la pellicule s’allonge, le réalisateur passe du court au moyen métrage avec Un monde sans femmes, suite du Naufragé avec l’actrice Laure Calamy. Aujourd’hui, après Tonnerre, Contes de Juillet, L’île au trésor, Guillaume Brac continue sa saga de l’été avec A l’abordage, disponible sur Arte TV et dans les salles en juillet prochain. Rencontre avec le réalisateur à l’occasion de la sortie de son dernier film.


Quel est votre premier souvenir de cinéma ?

Ce n’est peut-être pas tout à fait ma première rencontre avec le cinéma, mais c’était un Walt Disney, Je me souviens de ce moment où le personnage de Pinocchio est dans le ventre de la baleine, j’avais eu très peur. A l’époque, c’était un rituel d’aller voir le dernier Disney. J’ai aussi des souvenirs marquants de la dernière séance sur France 3, je ne ratais jamais les films diffusés.

C’est la seconde fois que vous travaillez avec des comédiens du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris, est-ce que vous pouvez nous raconter la genèse de cette nouvelle collaboration ?

Cette seconde collaboration est assez différente de la première, qui n’était pas censée du tout être un film, mais des exercices filmés sur une période de trois semaines. J’ai tout mis en œuvre pour que l’on puisse faire un film dans ce temps limité, ça a donné Contes de Juillet. Un an ou deux plus tard, la directrice du Conservatoire m’a rappelé pour me demander si j’accepterais de faire un long métrage avec des comédiens de la nouvelle promotion de l’école. L’objectif était de se laisser une année pour écrire, pour travailler avec les élèves. Cette fois-ci j’avais la liberté de choisir au sein de la promotion, j’avais demandé de rencontrer de manière informelle les élèves. C’était une sorte de commande, de proposition, mais pas assorti d’un budget pour faire le film. Par moments je me disais que c’était absurde. C’est très compliqué d’écrire un film pour dix ou douze jeunes, avec un calendrier contraint et sans argent. Avec mon producteur, on a eu cette idée de faire le film pour Arte, on sentait que la chaine pourrait être réceptive à cette démarche.

Quel fut votre rapport avec Arte au moment du tournage ? La mise en scène du film ne donne pas l’impression d’avoir été dictée par son support de diffusion, la télévision.

Il faut préciser une chose, Arte a mis une enveloppe assez réduite sur ce projet. Le risque était vraiment minime, la contrepartie c’est que j’étais vraiment libre. Ils se doutaient bien que je n’étais pas le genre de réalisateur à conformer la mise en scène au petit écran. Ce qui est amusant, c’est qu’ils ont regardé les rushs au début du tournage, mon producteur m’avait appelé pour me faire part de leurs inquiétudes sur l’absence de gros plans. Ils étaient aussi surpris de la matière très brute des images, le début avait été un peu difficile pour moi et les acteurs. Il y avait des prises longues, très différentes, ce n’était pas des rushs habituels d’une fiction. On a tous en tête une image assez précise du téléfilm et ce n’était pas exactement là-dedans qu’on se lançait.

Qu’avez-vous appris au contact de ces jeunes comédiens ?

Ce qui est assez passionnant pour moi dans ce qui s’est passé avec ces deux expériences, c’est que je me suis retrouvé à écrire des films que je n’aurais jamais écrits si j’avais été seul chez moi à imaginer un projet. On pourrait se dire que l’écriture contraint l’imaginaire, mais ça stimule énormément, ça apporte des idées. Par le passé j’avais déjà écrit en ayant des acteurs principaux en tête, mais là, très concrètement, je me serai sans doute pas autorisé à écrire un film de fiction dont les deux personnages principaux sont noirs. Je me serai posé la question de ma légitimité à faire ça. A partir du moment où je rencontrais ces jeunes gens, et que parmi eux il y avait ces deux comédiens fantastiques, ça balayait ces questions et je pouvais parler d’eux, on pouvait penser ensemble les personnages. Le processus de travail était excitant, mais aussi difficile. Au début, j’étais un peu le prof et c’était assez pénible, je n’ai pas la compétence de faire la pédagogie. Je n’arrêtais pas de leur dire je suis un réalisateur, je suis en train de faire un film avec vous, vous allez apprendre des choses, mais en faisant le film.

Combien de temps a duré le tournage ?

34 jours en août et septembre, une première semaine à Paris et le reste dans la Drôme. Avant ça, il y a eu un atelier qui a duré trois semaines à l’automne et deux semaines de répétition en juillet.

Est-ce que les comédiens ont l’impression de se retrouver, eux, à l’image ?

Oui, complétement, c’était un enjeu essentiel pour tout le monde. La question de la représentation de personnages noirs au cinéma était notamment importante pour Éric Nantchouang et Salif Cissé. Ils pouvaient légitimement s’interroger sur ce que j’allais faire avec eux. On a beaucoup échangé, ça été un travail en commun. Aujourd’hui, ils sont fiers et heureux. Le film raconte quelque chose, mais sans assener ou devenir une démonstration. Pour dépasser cette question, Lucie Gallo m’a dit et ça m’a touché, que de tous les projets qu’ils ont pu faire au Conservatoire, c’est celui qui raconte le plus qui ils sont en tant que jeunes gens, que groupe.

Plus qu’un portrait d’une jeunesse, il y a comme souvent dans votre cinéma, un lien entre les âges : au début du film, une vieille dame conseille Félix de partir vivre son aventure, « soit c’est bien, soit c’est dégueulasse ».

Je savais que compte tenu du grand nombre de personnages dans le film, je n’aurais pas la place pour développer des personnages plus âgés, mais c’était important qu’il y ait quand même un lien entre les générations. Ca donne une espèce de profondeur à l’expérience et permet de sortir d’un entre-soi. La dame présente dans cette scène est la grand-mère de ma compagne, elle a 93 ans et c’est l’unique fois qu’elle apparaît dans un film. C’est émouvant d’avoir cette présence dans le film, ça a du sens pour moi.

La rencontre est au cœur du récit.

Maintenant je sais que c’est le sujet de tous mes films, c’est celui de la rencontre. Elle provoque des tensions, mais accouche toujours de quelque chose. C’est certes souvent éphémère, mais beau et marquant. C’est sur quoi je retombe toujours, ce n’est pas une volonté, mais c’est ce qui me passionne et me touche le plus. Voir des gens se rencontrer le temps du film, on est comme au présent de cette découverte. Tout se passe devant la caméra, on n’est pas encombré par le scénario.

Votre film se déroule dans un camping dans la Drôme. C’était une évidence pour vous d’emmener vos personnages dans une France de l’intérieur ? Le titre laissait supposer un décor plus maritime.

Je me suis posé la question pendant un petit moment. Ma scénariste, qui est originaire des sables d’Olonne, m’avait encouragé à longer la côte atlantique. J’avais en tête la Drôme depuis le début, mais il me fallait confronter ce choix avec d’autres lieux pour être sûr. Je voulais emmener les comédiens loin de l’école et de Paris. Il y avait une volonté de montrer une France un peu secrète, qu’il faut connaître un minimum pour y aller. C’était moins évident que de les emmener dans une station balnéaire sur la côte. Et il y avait quelque chose qui me plaisait avec la rivière, dans son parcours métaphorique. Le lieu avait une topographie simple et inspirante, on comprend bien l’espace. Quand on est arrivé dans ce camping à Die, on a vite compris que la fiction pouvait s’inscrire dans ce territoire à la fois riche et restreint. C’était un très bon terrain de jeu.

Le 19 mai dernier, jour de réouverture des salles de cinéma en France, votre film a été projeté dans un cinéma de Quimper dans le cadre d’un évènement organisé par l’association Gros Plan. Vous étiez présent lors de cette séance, qu’avez-vous ressenti ce jour ?

D’une certaine façon, ça me privait de l’opportunité d’aller moi-même voir un film*rire*. C’était émouvant et ça me faisait très plaisir. J’ai un rapport très fort à la salle de cinéma, presque physique, ça m’a énormément manqué. Le paradoxe, c’est que j’ai fait un film pour la télévision. Je l’ai accompagné à Berlin et durant l’été, au début de l’automne, il a quand même déjà bien vécu sur grand écran. On a d’ailleurs obtenu le droit de le sortir dans les salles le 21 juillet. Je ne minimise pas l’impact de la diffusion du film sur Arte, ça répond à une frustration que j’avais depuis quelques films, celui de toucher un public plus large.

Quels sont vos doutes et espoirs pour le cinéma de demain ?

Le public semble se rendre massivement dans les salles, c’est peut-être un feu de paille, mais j’ai plutôt envie d’y croire. A titre personnel, je fais partie des réalisateurs qui ont mal vécu cette période et qui ne l’ont pas mise à profit pour écrire. Mon cinéma se nourrit tellement du réel, de la vie, de la joie et du hasard, que c’était très difficile de trouver la matière pour une histoire. Ce qui est sûr, c’est que j’aurai beaucoup de mal à faire un film dans ce contexte. J’aurai du mal à me dire qu’il faut bloquer les rues, les lieux, cette lourdeur serait un frein. Ces petits évènements qui se produisent dans les plans sont fondamentaux, il y a une prise de risque importante, mais c’est précieux.

Entretien réalisé en mai 2021.