Everybody Loves Touda : une œuvre bien trop programmatique

Après Les Chevaux de Dieu, présenté en 2012 dans la section Un Certain Regard, Much Loved, sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2015 et Haut et Fort, qui avait eu les honneurs de la compétition en 2021, Nabil Ayouch présentait cette année son dernier long métrage sur la Croisette, dans la catégorie Cannes Première. Everybody Loves Touda s’inscrit parfaitement dans la filmographie du cinéaste franco-marocain, qui poursuit son travail d’exploration (critique) de la société marocaine, en s’intéressant à une femme libre qui trouve sa force dans la musique et le chant traditionnel.

Touda rêve de devenir une Cheikha, une artiste traditionnelle marocaine, qui chante sans pudeur ni censure des textes de résistance, d’amour et d’émancipation, transmis depuis des générations. Se produisant tous les soirs dans les bars de sa petite ville de province sous le regard des hommes, Touda nourrit l’espoir d’un avenir meilleur pour elle et son fils. Maltraitée et humiliée, elle décide de tout quitter pour les lumières de Casablanca…

Cela étant posé, il faut bien reconnaître que la forme, malheureusement, n’est pas à la hauteur

Sur le fond, il est évident qu’il convient de saluer une nouvelle fois la démarche courageuse et très généreuse de Nabil Ayouch, qui met en avant ici une femme, une héroïne, une résistante face à un ordre immuable, une société marocaine fondée sur le patriarcat et qui voit d’un mauvais œil l’émancipation de la femme, surtout si elle vit seule en élevant un enfant comme c’est le cas dans Everybody Loves Touda. Le long métrage bénéficie en outre de la prestation intense de l’actrice principale, Nisrin Erradi, qui fait preuve d’un bel investissement dans la peau de Touda, femme maltraitée et humiliée mais qui se relève malgré tout et entend accomplir son destin. A l’image de la première séquence, une fête en plein désert, des chants, une montée du désir qui se termine tragiquement par le viol de Touda qui finit par rentrer chez elle pour s’occuper de son fils sourd et muet. Cela étant posé, il faut bien reconnaître que la forme, malheureusement, n’est pas à la hauteur, et ce pour plusieurs raisons. Si l’on peut à la rigueur excuser un penchant certain au manichéisme, le problème majeur réside dans le manque de rythme d’un récit trop classique, presque trop sage qui se contente de dérouler un programme certes avec une grande sincérité mais sans audace, manquant même de force alors que le sujet le méritait amplement. Ce parcours d’une femme quittant sa région pour aller tenter sa chance à Casablanca, est tellement prévisible que toutes les étapes, les obstacles auxquels on pense, sont quasiment illustrés. Le symbolisme auquel a recours le cinéaste est également trop appuyé et l’aspect mélodramatique, caractérisé par les bons sentiments, l’emporte trop souvent. Haut et Fort manifestait déjà un manque de consistance et de profondeur, malgré un sujet et un regard généreux, humaniste. Un élément qui étonne de la part d’un cinéaste qui s’était révélé par le passé bien plus percutant, pertinent sur le plan politique. Les Chevaux de Dieu évoquait avec une force visuelle indéniable le parcours et l’endoctrinement d’une poignée de jeunes par des islamistes avant leur passage à l’acte dans la capitale marocaine en tant que martyrs. Dans Much Loved, film interdit au Maroc, il révélait avec la même intensité la dignité de quatre prostituées marocaines dans une société qui se sert d’elle tout en les condamnant.

le problème majeur réside dans le manque de rythme d’un récit trop classique, presque trop sage qui se contente de dérouler un programme certes avec une grande sincérité mais sans audace

Malgré quelques trop rares éclats (les scènes de chant / danse), et la performance de la comédienne, Everybody Loves Touda échoue en grande partie à retranscrire à l’écran toute la complexité de son sujet (la place des femmes au Marco, notamment les chanteuses d’aïta, les cheikhates), finissant même par ennuyer le spectateur. Un comble pour une œuvre qu’on aurait aimé bien plus rageuse et inspirée.  

1.5

RÉALISATEUR : Nabil Ayouch
NATIONALITÉ : France, Maroc 
GENRE : Drame
AVEC : Nisrin Erradi, Joud Chamihy, Jalila Tlemsi
DURÉE : 1h42
DISTRIBUTEUR : Ad Vitam
SORTIE LE 18 décembre 2024