Kate Dolan, jeune réalisatrice irlandaise, m’a fait l’honneur de m’accorder un entretien, à l’occasion de la sortie mercredi 7 décembre 2022 de son premier long-métrage, intitulé Samhain Prix du Jury au Festival de Gérardmer 2022. Après avoir réalisé un court-métrage horrifique, Catcalls, la cinéaste passe à l’étape supérieure avec ce film traitant de la possession et dressant aussi le portrait d’une relation mère/fille complexe. Plus qu’un film d’horreur, il s’agit d’une œuvre inspirée par des expériences personnelles. Au travers d’une série de questions, Kate Dolan dévoile son parcours et révèle quelques éléments de compréhension concernant son film. Voici donc l’occasion de découvrir cette cinéaste émergente dans le cinéma de genre.
Vous avez été récompensée lors du dernier Festival de Gerardmer. Cependant, le public français ne vous connait encore que très peu. Pourriez-vous nous expliquer votre parcours ? Pourquoi avez-vous choisi de devenir cinéaste ?
Le cinéma a toujours fait partie de ma vie, depuis que je suis toute petite. Mes parents avaient déjà une attirance pour le Septième Art, notamment pour les films réalisés par Alfred Hitchcock. J’ai ainsi eu l’opportunité de découvrir sa filmographie, et c’est ce qui a motivé mon intérêt pour le cinéma. En parallèle, je commençais à utiliser des caméras pour filmer. Par conséquent, ma passion m’a guidée vers des études de cinéma à la National Film School, que j’ai pu financer à l’aide de certaines expériences professionnelles.
Nous comprenons qu’Alfred Hitchcock est l’une de vos principales références cinématographiques. En matière de cinéma de genre, vous semblez vous nourrir de références telles que L’Exorciste, Amityville ou Poltergeist. Est-ce le cas ?
Oui, ce sont des films qui m’ont grandement influencée, surtout Poltergeist, qui se trouve plus explicite au niveau du thème de la possession. Puis, ce sont à chaque fois des œuvres qui traitent du milieu familial, cela reste une matière suffisante pour raconter ce type de récit.
Oui, effectivement, vous reprenez un sujet assez commun dans le cinéma d’horreur, celui de la famille. Est-ce un de vos thèmes favoris ?
Pas forcément un de mes thèmes favoris, mais en effet, certaines expériences que j’ai vécues m’ont aidé à écrire ce film. Cependant, ce n’est bien sûr pas la réalité, mais juste une simple représentation. Je dois admettre que je mesure toute la complexité de ce sujet, que je trouve difficile à retranscrire et somme toute assez intense.
Oui, bien entendu, vous décrivez une réalité déformée. Néanmoins, elle est plus qu’intense, puisque votre film dépeint une atmosphère assez anxiogène.
Oui, c’est certain, toutefois tout cela part d’un ressenti personnel. C’est un mélange d’expérience, d’émotion, avec cette mère dépressive et le harcèlement subi par Char. Tout le film est aussi une histoire de sentiments, et le récit d’une relation entre une jeune fille et sa mère.
Tout à fait, dans Samhain, vous explicitez cette relation. C’est un film axé sur les émotions, d’ailleurs, le personnage interprété par Carolyn Bracken, que je découvre et qui est une excellente actrice, en est un exemple. À propos de sa gestuelle corporelle, cette façon de bouger, presque désarticulée, est-elle un clin d’œil au body horror cher à David Cronenberg?
Oui, et en plus, je suis une grande admiratrice de David Cronenberg. C’est juste, effectivement. Il fait partie de mes modèles, de mes sources d’inspiration, surtout lorsque le personnage de la mère se change en monstre. Il y a un lien notable entre celui-ci et l’imaginaire de David Cronenberg, avec les corps meurtris, les monstres, et notamment cet autre mère qui veut posséder Char.
À peu de chose près, ce personnage ressemble à celle de The Brood. Est-elle aussi une manière de montrer qu’elle n’est plus en capacité d’assumer ses engagements parentaux ?
Cela s’intègre à sa psychologie, qui se trouve à mi-chemin entre le surmenage et la dépression. Comme je le montre dans ce film, c’est un portrait de famille intense, déséquilibrée. Cette femme ne peut plus assumer son rôle de mère, délègue presque ses missions à sa propre mère.
Vous parlez de la grand-mère, qui exerce une mission double, celle de sauvegarder l’équilibre familial et celle de sauver sa petite-fille d’un sort tragique, de la protéger de cette mère démoniaque ?
Exactement, elle accepte tout, de réguler, de diriger, elle endosse la fonction de protectrice, et c’est un élément important de ce film. D’ailleurs, c’est elle qui fait les révélations sur le passé de Char, qui a failli périr brulée quand elle était bébé.
À propos de Char, vous la décrivez comme étant prise dans un piège, entre cet autre mère qui veut la tuer et le fait qu’elle soit victime de harcèlement scolaire de la part d’autres jeunes filles. Vous montrez deux formes de possessions, différentes, mais violentes. La possession n’est donc pas que démoniaque ? Les humains sont ainsi également des démons ?
J’ai opposé deux mondes, mais qui rentrent finalement en collision, l’un surnaturel, et l’autre réel. Ainsi, il est intéressant de constater à quel point il existe des similitudes entre ces mondes. Comme un univers parallèle identique sur certains aspects, surtout sur les comportements des humains, qui peuvent se révéler aussi diaboliques que les démons eux-mêmes. Nous avons en chacun de nous une grande part de méchanceté et de perversité.
La violence est présente à travers le feu, Char a bien failli mourir brûlée, une de ses harceleuses veut la défigurer. Quelle est la signification des flammes ?
Concernant la violence, Samhain est aux origines de la fête d’Halloween, c’est de ce fait quelque chose qui rentre dans cette coutume irlandaise faisant partie du folklore. Par ailleurs, il existe une connexion entre la religion, les croyances, et la lutte contre le diable sous toutes ses formes, et Char ressemble à l’enfant du diable, le symbole de l’échange (changeling). Le feu est un moyen d’éradiquer le fléau.
La dernière question concerne Samhain. Peu de personnes savent que c’est lié à la fête d’Halloween, popularisée aux États-Unis. Votre film s’inspire donc de cette tradition ?
Oui, complètement, le thème du changeling est prégnant dans cette coutume irlandaise. Cela représente la peur du double maléfique, et bien sûr, mon film parle de ce sujet, par le biais de cette relation familiale.
Je vous remercie pour cette interview. Le film sort le mercredi 7 décembre 2022 en France. Espérons que ce film ait un succès mérité et que votre récompense à Gerardmer vous donne une excellente visibilité.
Entretien réalisé par Sylvain Jaufry le 5 décembre 2022.