Samhain : l’emprise d’un monde parallèle

Après avoir produit plusieurs courts-métrages, dont l’horrifique Catcalls, Kate Dolan passe au long format avec Samhain (primé lors du Festival de Gerardmer 2022), film sur l’emprise d’une mère possédée par une entité surnaturelle. En reprenant ce thème courant dans le cinéma de genre, la réalisatrice prend un risque certain, mais elle parvient à le traiter à sa manière, sans air de déjà-vu. Ainsi, Samhain nous plonge dans le sinueux labyrinthe des ténèbres, dans un monde tiraillé entre le réel et une dimension démoniaque. Le film contient le récit de différentes emprises, celle d’une possession malsaine, puis celles d’esprits humains déviants vers une folie incontrôlable. Kate Dolan explique ainsi ce que signifie Samhain, fête païenne venue d’Irlande, et popularisée aux États-Unis avec Halloween. À travers cette évocation traditionnelle, se glisse une foisonnante histoire riche en références, qui n’est pas sans rappeler certains classiques du genre. L’œuvre se démarque en proposant un cinéma personnel, intimiste. La relation mère/fille décrite par la cinéaste est-elle le reflet d’une réalité ? En tout cas, Samhain développe des réponses claires, proposant plusieurs définitions de la notion d’emprise.

Char, collégienne, vit avec sa mère dépressive. Un peu avant Halloween, celle-ci disparaît, puis revient quelques jours après à la maison. Dès lors, la jeune fille constate des comportements étranges. L’esprit de cette femme se trouve aux prises avec une force malveillante qui la pousse à vouloir tuer la jeune fille.

Kate Dolan produit une première incursion réussie dans le film de genre, proposant un résultat alliant fantastique et horreur, avec un intéressant travail de mise en scène, certes établi à partir des codes habituels, mais dans laquelle on note un caractère personnalisé.

En effet, en choisissant de montrer ce binôme conflictuel, la cinéaste décrit une relation tendue, ambiguë. Sous la domination de cette puissance maléfique, cette mère souffrant d’une dépression se transforme en monstre démoniaque déterminé à tuer Char. En décrivant ce personnage se muant progressivement en entité violente, Kate Dolan évoque en filigrane tout ce qui existe de plus terrifiant, la famille. La question du milieu familial, maintes fois reprises dans le cinéma horrifique, révèle ici à quel point elle reste une source d’inspiration inépuisable, engendrant bon nombre d’histoires glauques. En suivant l’exemple de L’exorciste, Poltergeist ou Amityville, Kate Dolan perpétue la tradition en explicitant un terreau familial propice aux événements surnaturels. Néanmoins, le film diffère légèrement des modèles du genre, son intention n’étant pas de créer une tension permanente. Au contraire, Samhain se focalise sur l’exploration des relations intra-familiales altérées par une anxiété profonde. Dans ce long-métrage, les émotions négatives de cette mère entraînent des conséquences néfastes, avec un équilibre familial qui se trouve complètement chamboulé par les turpitudes personnelles. Surtout, l’emprise qu’elle subit révèle d’inquiétants dysfonctionnements familiaux, et sans doute la véritable nature de la relation qui la lie à sa fille. Personnage dominant, charismatique, autoritaire, la mère cristallise ici toutes les peurs et les appréhensions ressenties par Char qui se retrouve prise dans un mélange de sentiments, entre volonté de sauvetage et crainte d’une relation détruite. Par le biais de cette dualité surnaturelle, la réalisatrice établit le portrait d’une connexion précaire, d’une relation plus qu’instable entre une maman et sa fille. Nul doute qu’il s’agit ici d’un miroir laissant apparaitre un message personnel, celui d’une femme souhaitant retranscrire une part de réalité. Kate Dolan exprime ses ressentis en décrivant une figure maternelle malmenée par une bipolarité ou par une folie soudaine. Tout laisse penser à une peinture déformée représentant l’ambivalence et l’ambiguïté d’une relation.

Le thème du film, la possession, se retrouve opposé au harcèlement scolaire que subit Char. Des jeunes filles mal intentionnées lui mènent la vie dure, entre provocations, intimidations et tentatives de meurtres. Sur le papier, ces deux notions paraissent distantes, mais ces histoires parallèles finissent par se croiser. En effet, le traitement du sujet évoque la possession sous de multiples formes, qu’elle soit maléfique ou simplement due aux bassesses de l’âme humaine. Voici toute l’originalité de Samhain qui propose une structure scénaristique s’éloignant des ficelles et des raccourcis classiques que nous trouvons dans d’autres films. Kate Dolan met en scène un monde parallèle, mais également un univers réel composé d’esprits possessifs et malveillants au possible. La seconde partie du film, équivoque, montre que la frontière reste mince entre ces deux planètes, sans différences notables entre les démons et les humains. S’agit-il d’une critique de notre espèce ? Kate Dolan n’entretient pas le mystère autour de cette problématique, puisqu’une grande partie de son argumentation tourne autour de la violence. Qu’elle soit matérialisée par les blessures, le feu, les paroles, sa présence domine, en devient même presque obsédante, prenant pour cible cette malheureuse Char. Coincée dans une spirale violente, cette dernière se retrouve au centre de ce récit. On ressent aisément cette pression qu’elle subit, ainsi que cette impression d’être pris dans un étau. L’atmosphère d’emprise, bien rendue par Kate Dolan, s’accentue, notamment dans le dernier segment, où nous voyons cet autre mère avancer dangereusement vers sa victime.

Kate Dolan propose donc bien plus qu’un film d’horreur, car elle puise son inspiration dans des expériences très personnelles. La mise en scène reste classique. Des plans rapprochés expriment les sentiments d’effroi. D’autres, plus larges, instaurent une angoisse suggérée. La cinéaste privilégie le jeu des acteurs, dont les attitudes corporelles, les regards suffisent pour diffuser un climat anxiogène.

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RÉALISATEUR :   Kate Dolan
NATIONALITÉ : Irlande
AVEC : Hazel Doupe, Carolyn Bracken
DURÉE : 1H33
DISTRIBUTEUR : Star Invest Film France
SORTIE LE 7 décembre 2022