Dumb money : petites coupures

Craig Gillespie est un metteur en scène australien qui a pour caractéristique de s’être fait connaître sur le tard, en donnant à Margot Robbie son premier grand rôle en solo, dans Moi, Tonya. Depuis, Cruella lui avait permis, en dépit de la période de confinement, de passer à la vitesse supérieure, en joignant élégance du style et justesse du propos. Cette vraie réussite a ainsi donné un de ses plus beaux rôles à Emma Stone. Ceci explique qu’on était pour le moins curieux de son nouveau projet qui retrace un épisode récent de la vie publique américaine, l’affaire Gamestop, où des fans de jeux vidéo, à l’aide de recommandations sur les réseaux sociaux, ont court-circuité Wall Street, ruinant ainsi d’importants fonds d’investissement, Sorti un peu en catimini aux Etats-Unis et en France, Dumb Money vaut pourtant mieux que ce relatif anonymat car, divertissement efficace et fiction solidement documentée, il confirme de réelles qualités de mise en scène chez Gillespie, sans pour autant lui accorder un statut imparable d’auteur.

L’incroyable histoire vraie d’un homme ordinaire et de ses followers qui ont ébranlé Wall Street en misant sur GameStop, une entreprise à laquelle personne ne croyait. En engageant toutes ses économies sur un pari fou, Keith Gill et ceux qui décident de le suivre, vont gagner beaucoup, beaucoup d’argent : Wall Street a ses nouveaux loups. Mais ce qui enrichit les uns appauvrit les autres, et les milliardaires des fonds d’investissement ne vont pas tarder à riposter…

Gillespie, en utilisant un style vif et vigoureux, emballe parfaitement son histoire, en en faisant un divertissement plaisant, à défaut d’être inoubliable, qui se clôturera sur Seven Nation Army des White Stripes, avec comme principal enseignement, les petits peuvent faire trembler les gros.

Révélé timidement par Une fiancée pas comme les autres (sur le sujet casse-cou d’un type séduit par une poupée en silicone). Craig Gillespie apparaît à première vue comme un metteur en scène éclectique, sinon versatile. Il a essentiellement explosé avec Moi, Tonya, où il se lançait avec un certain bonheur dans le genre du mockumentary (faux documentaire). genre où s’est particulièrement illustré Woody Allen (Prends l’oseille et tire-toi, Zelig, Accords et désaccords). Ensuite, il a pris le chemin du conte disneyien, voire plutôt burtonien, avec l' »origin story » de Cruella, en faisant une sorte de fantaisie punk et rock n’roll. Cette fois-ci, Dumb Money explore un nouveau terrain, celui du thriller économico-financier. Beaucoup ont alors évoqué The Big Short d’Adam McKay, sur la crise des subprimes de 2008, référence facile et très superficielle qui ne laisse pas d’étonner surtout ceux que le style un peu foutraque de McKay peut parfois fatiguer. Contrairement au sien, celui de Gillespie s’avère beaucoup plus rigoureux.

Car en fait, Gillespie conjugue ici, en plus de celle surplombante de McKay, (peut-être plus superficielle), deux influences majeures, celle de Robert Altman (Short Cuts), avec ce fameux récit choral, bien plus difficile à mener qu’on ne le pense, entremêlant des récits de personnages différents, de classes et de statuts dissemblables, et surtout celle de David Fincher (plus spécifiquement The Social Network), car Dumb Money adapte un livre de Ben Mezrich, judicieusement nommé L’Anti Social Network). Rappelons à toutes fins utiles que Ben Mezrich se trouvait à l’origine de The Social Network, en écrivant Mark Zuckerberg, La Revanche d’un solitaire. Si l’on rajoute que le monteur du film, Kirk Baxter, est celui attitré de David Fincher depuis Benjamin Button, et que les jumeaux Tinklevoss (oui, ceux de The Social Network), sont producteurs délégués de Dumb Money, reconnaissons que les ressemblances stylistiques avec l’un des plus grandes réussites artistiques et commerciales de Fincher sont frappantes.

Alors oui, dans les trois cas susnommés, Gillespie est à l’évidence moins bon que Allen, Burton ou Fincher, mais il peut s’adapter avec une rare flexibilité à des styles, des univers et des sujets différents, ce qui n’est pas donné à tout metteur en scène. On peut aussi décréter qu’avec Dumb Money, il revient au réalisme humoristique de Moi, Tonya, en moins percutant, après avoir atteint des sommets d’irréalité fantasque et de poésie décalée avec Cruella. Néanmoins, si Craig Gillespie n’est peut-être pas un auteur, il possède du moins une thématique obsessionnelle, des protagonistes mal-aimés qui se trouvent en quête d’un besoin de reconnaissance, souvent des « ploucs » au bas de l’échelle sociale qui ont trouvé miraculeusement un moyen de réussir et de se construire une place au soleil. De Tonya Harding à Pamela Anderson (cf. Pam et Tommy, la série dont Gillespie a signé les trois premiers épisodes), en passant par Cruella ou les actionnaires individuels de GameStop, Gillespie défend les petits, les sans-grades.

Dumb Money possède ainsi une incroyable virtuosité dans son montage et ses passerelles narratives, permettant à des acteurs très doués de faire exister leurs personnages en dépit d’un temps alloué réduit : Paul Dano, Seth Rogen, America Ferrara, Shailene Woodley, Talia Ryder (la future star en puissance de Never rarely sometimes always ou The Sweet East). Gillespie, en utilisant un style vif et vigoureux, emballe parfaitement son histoire, en en faisant un divertissement plaisant, à défaut d’être inoubliable, qui se clôturera sur Seven Nation Army des White Stripes, avec comme principal enseignement, les petits peuvent faire trembler les gros.

3.5

RÉALISATEUR : Craig Gillespie
NATIONALITÉ :  américaine, australienne 
GENRE : Comédie 
AVEC : Paul Dano, Pete Davidson, Seth Rogen, Shailene Woodley, Talia Ryder, America Ferrara  
DURÉE : 1h45 
DISTRIBUTEUR : Metropolitan FilmExport
SORTIE LE 29 novembre 2023