Cette nouvelle version de Dracula est autoproclamée comme le grand retour de Luc Besson aux affaires cinématographiques, plus ou moins amorcé par Dogman qui n’a pas reçu l’accueil public attendu. Depuis que Besson a été innocenté par un non-lieu faute d’éléments suffisants (même s’il reste impliqué dans nombre d’affaires de harcèlement qui n’ont pas encore été jugées), le cinéma est redevenu sa priorité. Il n’y va pas de main-morte en affirmant vouloir faire sa version de Dracula, après celles de Murnau, Browning, Fisher, Herzog, Coppola, Eggers, etc. Rappelons en effet que Nosferatu n’est qu’une variation de Dracula, inventée par Murnau, en raison de droits d’adaptation non accordés. La version bessonnienne de Dracula s’avère plutôt efficace, sans être déshonorante, Besson ayant tout axé sur le romantisme plutôt que sur l’hémoglobine.
Au XVe siècle, le Prince Vladimir renie Dieu après la perte brutale et cruelle de son épouse. Il hérite alors d’une malédiction : la vie éternelle. Il devient Dracula. Condamné à errer à travers les siècles, il n’aura plus qu’un seul espoir : celui de retrouver son amour perdu.
Besson a certes vampirisé Coppola, et globalement l’histoire du cinéma, en s’attaquant après Jeanne d’Arc, à un autre serpent de mer cinématographique. Ce qui peut satisfaire des spectateurs grand public mais décevra les cinéphiles les plus exigeants envers l’une des plus grandes légendes de la littérature et du cinéma.
Si l’adaptation de Luc Besson correspond à des standards d’efficacité tout à fait convenables (on est loin du désastre de la version Argento), il faut reconnaître qu’il n’a pas cherché à innover, sinon à l’extrême marge. En effet, le principal concept du film, l’amour éternel liant Vlad, comte Dracula, à Elisabeta et à sa future réincarnation, Mina, est principalement emprunté à la version de Francis Ford Coppola, la première à avoir montré le monstre comme une victime romantique du destin. Si on lit attentivement le roman de Bram Stoker, on remarquera en fait que le concept de réincarnation n’existe pas dans le livre et que Mina reste une victime et une ennemie du Comte jusqu’à la fin.
Besson a surtout emprunté l’inspiration romantique de Coppola, en l’amplifiant. Certains détails ont été modifiés : plus de Van Helsing et de chasseurs de vampires mais une association de religieux dont un prêtre (Christoph Waltz, égal à lui-même) va se charger de Dracula ; l’intrigue tourne beaucoup moins autour de Jonathan Harker (rôle prévu pour Pierre Niney qu’il a préféré laisser à l’inconnu Ewens Abid) car Besson n’a pas dévoilé le visage de Mina dès le départ, ni a fortiori sa ressemblance avec Elisabeta, en en faisant un élément de twist. On peut souligner qu’il insiste davantage sur le combat de Dracula contre la religion, les échanges avec le prêtre, de nature presque théologique, se concentrant sur la responsabilité de l’homme. Hormis ces détails à la marge, Besson s’inscrit dans le prolongement de Coppola, pour l’essentiel.
Si, comme nous l’avons déjà souligné, Besson reprend incontestablement des couleurs, coté mise en scène et montage, il fait de Dracula un sympathique divertissement du samedi soir, avec quelques notes d’humour bienvenues, mais occulte toute la dimension d’innovation qui prédominait dans la version Coppola, ainsi que sa relecture de l’histoire du cinéma. D’un côté, il inscrit sa version dans une direction artistique burtonnienne relativement plaisante (la bande originale assez inspirée de Danny Elfman, le look de Caleb Landry Jones, dérivé de celui de Johnny Depp dans ses jeunes années, (plutôt remarquable en Dracula, qui confirme sa présence singulière depuis son prix d’interprétation cannois pour Nitram) , ce qui représente le meilleur du film ; de l’autre, sa direction d’acteurs s’avère inégale : en fille de Rosanna Arquette (coïncidence troublante), Zoë Bleu ne démérite pas en Elisabeta/Mina, même si elle se fait régulièrement voler la vedette par Matilda De Angelis, véritable révélation du film, alors que les autres jeunes acteurs ne surnagent pas véritablement.
Cette version évacue donc le sang, pour se recentrer sur la chair. Mais Besson présente le comte Dracula comme une victime romantique, esseulée à travers les siècles, qui ne demande pas mieux que de se sacrifier pour le salut de son épouse. Si la description d’un personnage principal est souvent un autoportrait, autant dire que Besson se considère avec beaucoup de compassion et d’autoapitoiement. Le sang ni le sexe n’intéressent pas vraiment le comte Dracula. Il s’en sert uniquement pour se régénérer. Le point particulièrement gênant, c’est que Elisabeta-Mina est finalement transformée en victime consentante du vampire, ce qui peut laisser libre cours à des pistes d’interprétation peu glorieuses. On se trouve très loin de la version Eggers où le personnage de Lily-Rose Depp souffrait d’emprise et s’en libérait en prenant le monstre à son propre piège. S’il est possible de dresser un parallèle entre Besson et le vampire, ce n’est pas sur l’aspect sexuel mais plutôt d’un point de vue cinématographique : Besson peut se projeter ici en vampire du cinéma qui vide de leur sang les plus grands mythes, en quête d’un amour du Septième Art en retour qui lui échappe depuis des années, sinon toujours.
Par conséquent, Besson, avec son Dracula, livre une version romantique du samedi soir, presque dépourvue d’effets strictement horrifiques (hormis un corps sanglant décapité) et surtout d’esprit d’innovation. Heureusement l’histoire de Bram Stoker, même si on prend avec elle des libertés, est suffisamment solide pour continuer à fasciner. Besson a certes vampirisé Coppola, et globalement l’histoire du cinéma, en s’attaquant après Jeanne d’Arc, à un autre serpent de mer cinématographique. Ce qui peut satisfaire des spectateurs grand public mais décevra les cinéphiles les plus exigeants envers l’une des plus grandes légendes de la littérature et du cinéma.
RÉALISATEUR : Luc Besson NATIONALITÉ : française GENRE : drame, fantastique, horreur-épouvante AVEC : Caleb Landry Jones, Christoph Waltz, Zoë Bleu, Matilda de Angelis, Ewens Abid, Guillaume de Tonquédec DURÉE : 2h09 DISTRIBUTEUR : SND SORTIE LE 30 juillet 2025