Double Foyer : pour vivre mieux, vivons séparés ?

Certains films dégagent une musique si douce, si agréable que l’on ressort de la salle avec le sentiment d’avoir passé un moment délicieux. C’est le cas de Double Foyer, premier long métrage signé Claire Vassé, ancienne critique à Positif, animatrice/productrice de l’émission Le Cinéma l’après-midi sur France Culture de 2003 à 2006 et autrice de romans (dont le dernier, sorti en 2022, s’intitule A partir de toi, aux éditions La Mer Salée).

Lili et Simon s’aiment, mais n’habitent pas ensemble. Abel, l’enfant de cet amour, vit entre deux maisons. Un jour, les accidents de l’existence remettent en question leur mode de vie… Peut-on s’aimer sans vivre ensemble ? Question simple, réponse compliquée.

Sur un ton léger, Claire Vassé aborde des questions du quotidien qui font sens et, surtout, susceptibles de résonner en chacun d’entre nous

Sur un ton léger, Claire Vassé aborde des questions du quotidien qui font sens et, surtout, susceptibles de résonner en chacun d’entre nous : qu’est-ce que l’amour ? Que signifie partager un espace commun ? Est-ce une preuve d’amour de tout partager (car vivre séparément et s’aimer parait suspect) ? A travers une histoire simple (celle d’un homme et d’une femme qui s’aiment), mais jamais simpliste, elle évoque et interroge la vie de couple, l’usure qui pourrait s’installer, ce que cherchent justement à éviter Lili et Simon en ayant fait le choix, pas si fréquent aujourd’hui, de ne pas vivre ensemble, malgré la présence de leur fils. Pour préserver l’amour du quotidien, de la routine et, ainsi, mieux se retrouver. A ce titre, le début du film pose le décor : Abel vit tantôt avec son père, tantôt avec sa mère. Lili et Simon « s’invitent » mutuellement chez eux. Les nombreux allers-retours entre les deux lieux de vie ne semblent poser de problème à personne, tout semble parfaitement réglé. Sauf pour l’entourage peut être, ou d’autres personnes croisées ici ou là dans le récit, pour qui s’aimer doit nécessairement rimer avec vivre sous le même toit. Double Foyer porte une attention toute particulière (et bienveillante) à ce couple « différent », victime d’une certaine façon du regard des autres (en premier lieu celui de la famille proche) qui les regardent vivre, à l’image de la boulangère qui ne comprend pas la situation. Pour autant, si la cinéaste est du côté des personnage (on sent bien tout l’amour qu’elle leur porte), ne cherchant jamais à les montrer du doigt, elle ne met pas en scène un film militant, puisqu’à aucun moment, elle n’impose le modèle qu’elle observe, ni ne prône à tout prix le « vivre séparé ».

De la même façon, elle ne tombe pas dans le piège du film sociologique, qui aurait sans nul doute alourdi son sujet. Les personnages mis en scène ne sont pas réduits à des représentations sociologiques, à leur appartenance sociale, certes clairement établie (ici un milieu modeste et populaire : lui est garagiste, elle travaille pour une agence immobilière). Ce qui intéresse davantage la réalisatrice, c’est de saisir l’intériorité des protagonistes, d’ailleurs révélée par leurs appartements respectifs, très différents. Elle travaille l’une des thématiques que l’on retrouve d’ailleurs dans ses écrits, à savoir l’espace et sa gestion.

Le charme du long métrage doit également beaucoup à la musique et aux chansons qui accompagnent les personnages.

Le charme du long métrage doit également beaucoup à la musique et aux chansons qui accompagnent les personnages. La cinéaste souhaitait au départ une seule chanson pour le couple, sans que cela prenne une importance particulière. Elle a alors rencontré Guillaume Aldebert, célèbre auteur-compositeur, qui a beaucoup aimé l’histoire et a même proposé de composer plusieurs titres, donnant corps musicalement aux idées de Claire Vassé. Si Double Foyer n’est pas une comédie musicale à proprement parler, c’est indéniablement un « film musical », où les paroles expriment les tourments, les angoisses, les sentiments de Lili et de Simon (les comédiens interprètent d’ailleurs eux-mêmes les chansons). On pense alors aux longs métrages de Christophe Honoré, notamment aux Chansons d’amour (2007), à Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009) ou encore plus aux Bien-aimés (2011). La musique est donc devenue une part essentielle du projet, entraînant parfois la réécriture du scénario, ainsi que la suppression de certains dialogues.

C’est pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus qu’il faut aller voir en salle Double Foyer, un joli premier film, à la fois léger et profond, qui constitue une alternative idéale aux sorties plus imposantes du moment.

Enfin, Double Foyer bénéficie de la justesse de ses interprètes. Émilie Dequenne, dont on ne présente plus la carrière (de Rosetta des frères Dardenne à A perdre la raison de Joachim Lafosse ou Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret), est remarquable et s’est complètement approprié ce rôle, apportant authenticité et fraicheur. A ses côté, Max Boublil est très crédible en père tendre et aimant, un registre plutôt inhabituel pour lui, et la présence de Michel Jonasz est tout à fait savoureuse. Il convient également de mentionner l’exquise Françoise Lebrun (inoubliable actrice de La Maman et la putain de Jean Eustache, aperçue récemment dans Le Livre des solutions de Michel Gondry), émouvante dans le rôle de la mère de Lili.

C’est pour l’ensemble des raisons évoquées ci-dessus qu’il faut aller voir en salle Double Foyer, un joli premier film, à la fois léger et profond, qui constitue une alternative idéale aux sorties plus imposantes du moment.

3.5

RÉALISATEUR : Claire Vassé
NATIONALITÉ :  France
GENRE : Comédie dramatique
AVEC : Émilie Dequenne, Max Boublil, Arthur Roose, Pierre Rochefort, Françoise Lebrun, Michel Jonasz, Michel Ferracci
DURÉE : 1h25
DISTRIBUTEUR : Nour Films
SORTIE LE 21 février 2024