Days : jours de lenteur

Jours de lenteur, ou bien, des nouvelles de Tsai Ming-liang. Vu en replay sur Arte.tv pendant je ne sais quel confinement, le film a finalement deux ans plus tard les honneurs d’une distribution en salles. L’amateur se réjouit, car le cinéma du Taïwanais, aux plans souvent fixes, remplis de correspondances et plastiquement somptueux — une douche pour les yeux, disent certains —, s’accommode d’autant mieux d’un grand écran. Tsai est lent, il me semble que son précédent, Chiens errants, date de 2013. Days a quant à lui été mis en chantier en 2014, temporalité raccord avec le sujet d’un autre film de 2014, le moyen-métrage intitulé Voyage en Occident, dans lequel un moine bouddhiste traversait d’un pas infiniment ralenti la trépidante ville de Marseille. Me revient aussi à l’esprit l’iconique finale du classique Vive l’amour — 1994, déjà —, qui donnait l’impression que l’héroïne secouée de sanglots allait pleurer pour l’éternité.

Ce cinéma de la stase et de la méditation, qui invite à se plonger en soi-même, à l’image du personnage.

Tsai, cinéaste de la lenteur, et — disciple par là d’Antonioni — de l’incommunicabilité. Days est ’’intentionally unsubtitled’’, prévient un carton au début, mais y entendra-t-on ne serait-ce qu’une parole prononcée ? La première image peut être vue comme une sorte de test pour le spectateur non averti. Pendant de longues minutes, l’acteur fétiche de Tsai, le magnétique Lee Kang-sheng — son Jean-Pierre Léaud —, est filmé en plan moyen à travers une baie vitrée, assis sur un fauteuil dans son salon. Il ne se passe rien, pour ainsi dire. Mais qu’on prenne le temps d’observer et d’écouter. La pluie tombe, qui bruit continûment, et à laquelle fait écho de façon presque comique — j’exagère à dessein, mais le cinéma de Tsai peut parfois être très drôle — j’en veux pour preuve les scènes burlesques de The Hole (1998), ou de la comédie musicale La Saveur de la pastèque (2005) — cependant ne nous égarons pas, et revenons à notre écho à cette pluie — un verre d’eau posé sur un coin de table. Dans le reflet de la vitre, le mur du balcon situé de l’autre côté trace une ligne qui traverse le crâne du comédien. Au-dessus d’elle, on distingue les branches des arbres du jardin agités par le vent — et qui semblent figurer, comme en surimpression, les pensées du personnage. C’est tout, presque rien, pourtant c’est beaucoup. Le spectateur impatient pourra se lever de son fauteuil et quitter la salle en fulminant, les autres profiter de la beauté de la composition, ainsi que de l’enveloppement sonore de la scène. Celle-ci résume ce cinéma de la stase et de la méditation, qui invite à se plonger en soi-même, à l’image du personnage.

Le film est une douche pour les yeux, Lee un dieu qui se couche. En effet, il s’ennuie et a mal au dos. Voici un autre personnage, qui cuisine dans un gourbi et tient un stand de fringues sur un marché. Plongés l’un et l’autre dans deux solitudes aussi ultramodernes que disjointes, pourront-ils se rencontrer ? Pour quel résultat ? Tel est l’argument ténu de ces Jours, qui dessinent par touches précises le portrait de deux inconnus. Malgré les contingences qui présideront peut-être à leur rencontre, réussiront-ils à échanger autre chose que de l‘argent, signe d’un rapport de domination ? Dans le sordide de la relation commerciale, la tendresse peut-elle exister ? Clairvoyance devant le fait social magnifié par le mythe et l’imagerie religieuse (la rencontre du riche et du pauvre est celle de l’eau et du feu), aménité envers chaque individu, voilà aussi qui fait la richesse de ce cinéma attentif, et qui semble pleurer — avec de plus en plus de pudeur, moins comme la pluie qui tombe que l’eau contenue dans un verre — sur l’humanité.

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RÉALISATEUR :  Tsai Ming-liang 
NATIONALITÉ : taiwanaise 
AVEC :  Lee Kang-sheng, Anong Houngheuangsy
GENRE : Drame, romance 
DURÉE : 2h06 
DISTRIBUTEUR : Capricci Films 
SORTIE LE 30 novembre 2022